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- C'est comme la guerre, ai-je dit, tu t'trouves en permission, c'est plus
la guerre... et tu crois qu'fes gueri!"
Le lourd silence est retombe sur nous. J'ai pense a ce que je venais de
dire, aux jours d'ou je sortais, cela m'a raccroche a un espoir, j'ai dit: "On
oublie vite, tout de meme!"
Mais j'ai entendu la voix de "la Volige"5 qui me repondait:
"Jamais, non, jamais ca n'sera possible d'oublier ca!
- Pourquoi? ai-je dit, si on se souvenait toujours, on ne dormirait plus
jamais*"
De penser qu'on aurait au moins le sommeil, ca a du lui redonner une
vision d'espoir, a "la Volige":
"Tiens, a-t-il fait, j'vas6 t'dire c'qui va s'passer: on va rester encore un
peu ici, jusqu'a c'qu'on nous trouve, et pis, vers le matin, on va voir des
gars s'amener7 sur le bled8, ca sera les brancos...
- Oh! oui, ai-je fait, illumine, ca sera eux... les brancardiers....
- Oui... Y9 nous prendront sur leur sommier a creux et pis10 "en route"...
en route... chaise a porteurs....
- Et puis le poste de secours....
- Les autos....
- Le train....
- L'train qui fume... et les p'tites dames qui viennent aux stations:
"Encore un peu a boire, militaire?.."
On s'excitait l'un l'autre, on se montait:
"Et puis l'hopital....
- Avec des lits....
- Des lits avec des draps....
- Des vrais lits, quoi!"
Il disait ca, "la Volige", dans une sorte de sanglot de joie, deja il se
croyait sauve. Il m'a saisi l'epaule, m'a secoue comme si je n'avais pas ete
blesse. Et il repetait:
"Ah! Lamaud... mon vieux Larnaud!.." Mais soudain il s'est tu; puis,
tout a coup, degrise, il a dit: "(...) Via mon pied qui m'refait mal!" Apres
ca, tres longtemps, on est reste sans parler, on avait le c?ur trop gros".
Ce n'est que beaucoup plus tard dans la nuit qu'il a repris, "la Volige":
"C'quI2est terrible, c'est d'etre la, cloue, et de n'pouvoir rien faire.
- Oui, ai-je repondu; sous le barrage13, encore, tu te baisses, tu te
releves; tu te defends... mais ici... "
Alors il a dit ces mots naifs, atroces:
"Faut vraiment avoir l'habitude de vivre pour pas s'iaisser mourir!"
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Sur le moment, seul le mot "vivre" m'a frappe. Je m'y suis raccroche
comme a une bouee:
"Vivre!"... Dis donc, "la Volige", on vivra peut-etre encore!
- Mais oui, mon gros, a-t-il fait comme un peu honteux de sa
defaillance.
- C'est quelque chose, ai-je dit sentencieusement, de se dire ca, de se
dire qu'on n'est pas tout a fait mort encore.... Quand on pense qu'il y a des
villes -j'en venais -ou il y a des tramways... des metros....
- Des types qui achetent leur journal...*"
Soudain il m'a demande:
"De quoi qu't'as14 l'plus envie?"
Ah! je le savais, de quoi j'avais le plus envie! Surtout, avant tout, de ne
plus etre tout seul, de ne plus vivre seul, d'avoir une femme, une vraie,
a moi... un amour. Lui, il a dit, sans me laisser le temps de repondre:
" Moi... c'est d'un bifteck aux pommes15... J'voudrais, comme ca, entrer
dans un p'tit restaurant qu'j'aurais choisi, un vrai, avec desp'tits rideaux, des
p'tites lampes, des p'tites tables... et pouvoir commander: "Garcon, un
bifteck "bien saisi... avec des pommes... "
- Dorees...
- Paille16, a-t-il fait comme s'il en avait deja plein la bouche.
- Moi, ai-je repris, j'aurai peut-etre plus droit a tout ca avec mon
ventre17.
- Mais si, a dit "la Volige", c'est pas une maladie qu' t'as, c'est une
blessure.
- C'est plus mauvais.
- Non, a-t-il fait, une blessure c'est... c'est naturel."
Alors, naivement, je me suis laisse aller a lui confier ce que j'avais sur
le c?ur; je savais bien que nous en etions a un moment ou il comprenait:
"Ce que je voudrais, vois-tu, "la Volige", ca serait d'avoir quelqu'un qui
compte pour moi.
- Une femme?
- Voila.
- Toi, a-t-il fait, tu as une idee."
Oui, c'etait bien une idee, et seulement une idee que j'avais.
"Peut-etre, ai-je dit.
- T'as quelqu'un?"
Alors j'ai dit "oui". J'ai menti, tellement j'avais besoin de le croire. Il
a repris, epousant mon jeu:
"Tu lui mettras un mot quand c'est qu'tu s'ras18 a l'hopital et elle viendra.
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- Oui, ai-je repete fermement, elle viendra."
Il a eu alors ce mot admirable*:
"Si tu crois qu'elle viendra, t'es pas un homme perdu."
PAUL VIALAR: Les Morts vivants (1947).
Примечания:
1. Suppression populaire de: ne. 2. Жаргонное выражение: доконала, свалила с ног.
3. Просторечное выражение: сдохнуть, отдать концы. 4. Populaire, pour: peut-etre.
5. Прозвище персонажа, с которым беседует рассказчик, Ларно. 6. Populaire pour: je
vais. 1. Populaire: venir. 8. Местность, поле (слово арабского происхождения).
9. Populaire pour: ils. 10. Populaire pour: et puis. 11. Разговорное выражение, означаю-
щее: огорчены, опечалены. 12. На солдатском жаргоне - заградительный огонь.
По-русски примерно "заградогонь". 13. Populaire: as-tu. 14 Abreviation pour: pommes
de terre frites. 14. Нарезанные "соломкой". 15. Рассказчик был ранен в живот.
16. Populaire pour: quand tu seras.
Вопросы:
* La suite du recit ne justifie-t-elle pas ce propos?
** Par quel moyen les deux blesses pat-viennent-ils a re prendre espoir et gout a la vie ?
***Qu'y a-t-il, en effet, d' "admirable" dans ce mot?
LIBERTE
PAUL ELUARD a ecrit cette, -piece fameuse au cours des annees d'occupation. Il
y associe une syntaxe simple et des imaees audacieuses, qui font de lui l'un des
poetes les plus remarquables d'a-pres-guerre.
Sur mes cahiers d'ecolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'ecris ton nom.
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'ecris ton nom.
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Sur les images dorees
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'ecris ton nom.
Sur la jungle et le desert
Sur les nids et sur les genets
Sur l'echo de mon enfance
J'ecris ton nom.
Sur les merveilles des nuits
; Sur le pain blanc des journees
Sur les saisons fiancees'
J'ecris ton nom.
Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'etang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'ecris ton nom.
Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres4
J'ecris ton nom.
Sur chaque bouffee d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne demente"
J'ecris ton nom.
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie epaisse et fade
J'ecris ton nom.
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs7
Sur la verite physique
J'ecris ton nom.
Sur les sentiers eveilles
Sur les routes deployees
Sur les places qui debordent
J'ecris ton nom.
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Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'eteint
Sur mes maisons reunies
J'ecris ton nom.
Sur le fruit coupe en deux
Du miroir8 et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'ecris ton nom.
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressees
Sur sa patte maladroite
J'ecris ton nom.
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu beni9
J'ecris ton nom.
Sur toute chair accordee
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'ecris ton nom.
Sur la vitre des surprises10
Sur les levres attentives
Bien au-dessus du silence
J'ecris ton nom.
Sur mes refuges detruits
Sur mes phares ecroules
Sur les murs de mon ennui
J'ecris ton nom.
Sur l'absence sans desirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'ecris ton nom.
Sur la sante revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenirs
J'ecris ton nom.
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Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis ne pour te connaitre
Pour te nommer
Liberte*.
PAUL ELUARD. Poesie et Verite 1942.
Примечания:
1. Юные, цветущие и верные, как жених и невеста. 2. На клочках синего неба
(которые, например, видит узник). 3. Зацветшем, покрытом ряской. 4. Тени движутся,
как крылья или колесо мельницы. 5. Безумной или кажущейся таковой из-за своего
дикого вида. 6. Пресном, безвкусном. 7. Звучания красок так же мощны, как голоса
колоколов. 8. Зеркало показывает половину яблока, словно оно разрезано пополам, и
отражает половину комнаты. 9. Пламя обладает зыбкостью и текучестью воды.
10. Окно, через которое поэт видит приход чего-то неожиданного.
Вопросы:
Pourquoi l'ecrivain donne-t-il a cette piece la forme d'une litanie? - Quelle valeur
y prend le mot final?
UNE CHRETIENTE EN MARCHE
GEORGES BERNANOS n'a pas toujours menage ses sarcasmes aux "illusions"
republicaines et democratiques de ses compatriotes. Mais il a su aussi,
notamment dans sa celebre Lettre aux Anglais, ecrite pendant la derniere
guerre, montrer que l'histoire de France revelait, a cote d'apparentes
faiblesses, deplus reelles et plus profondes vertus.
Nous sommes une chretiente en marche, et voila ce que le monde ne
veut pas admettre parce qu'il court plus vite que nous, seulement ce n'est
pas vers le meme but. Nous sommes une chretiente en marche, et nous
savons tres bien, en depit de ce que nous disent les flatteurs et de nos
propres vantardises, que ce n'est pas du tout une marche triomphale,
derriere la fanfare. Pourquoi ne nous juge-t-on pas sur notre histoire? Notre
histoire est une longue patience, aucun peuple n'a fait plus patiemment son
destin, rassemble plus patiemment sa terre, repare plus patiemment ses
erreurs ou ses folies. Nous sommes une race paysanne, une race ouvriere,
qui travaille a pleins bras les six jours de la semaine, mais on ne nous
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regarde que le septieme, lorsque, en habits du dimanche, le verre plein et le
c?ur content, nous faisons danser les filles. Nous sommes une chretiente
en marche vers le royaume de Dieu, mais qui ne s'en va pas la-bas les
mains vides. Nous n'aurions pas invente d'aller si loin alors qu'on a deja
tant a faire chez soi, mais puisqu'il parait que le bon Dieu nous a choisis
pour apporter la liberte, l'egalite, la fraternite1 a tous ces peuples dont nous
ne savons meme pas exactement la place sur l'atlas, eh bien, nous allons
nous mettre a l'ouvrage, nous allons sauver le monde, a condition, bien
entendu, de sauver avec lui nos champs, nos maisons, nos bestiaux, et la
petite rente aussi que nous avons chez le notaire. Nous sommes une
chretiente en marche, mais elle march.e a pied, trainant derriere elle un
encombrant equipage parce que son petit bien lui est cher et qu'elle ne veut
rien laisser en chemin. Nous sommes une chretiente en marche vers un
royaume d'egalite, de liberte, de fraternite, auquel nous avons parfois du
mal a croire, parce que nous ne croyons volontiers qu'a ce que nous
voyons, et nous ne l'avons jamais vu. Alors, mon Dieu, nous n'allons pas
trop vite, rien ne presse, il faut menager ses souliers, les ressemelages
coutent si cher!.. Oh! sans doute, il y a parmi nous de hardis garcons qui
galopent le long de la colonne, rient aux filles et, toujours riant, se cassent
le cou. Nous les aimons bien, nous en sommes fiers, nous reconnaissons en
eux bien des traits de notre nature, une part de nous-memes qui se reveille
chaque fois que nous avons bu un verre de trop; mais, s'ils montent bien
a cheval, ils n'arrivent pas a l'etape avant nous, et ils ont fait au cours des
siecles mille betises eclatantes, que nous avons du reparer obscurement,
jour apres jour. C'est eux qui se sont fait battre a Azincourr, a Crecy . c'est
eux qui ont depense jadis beaucoup de notre argent pour conquerir le
royaume de Naples4, parce que les filles de ce pays leur semblaient belles;
et ils ne nous ont rapporte de la-bas que des dettes (...). Ils courent tres vite
a l'ennemi, seulement il leur arrive de revenir aussi vite qu'ils etaient partis.
A cause d'eux, notre histoire parait frivole, et il n'en est pas pourtant de
plus grave, et de plus tendre, de plus humaine. A cause d'eux, de leurs
caracolades en avant ou en arriere, on s'imagine que nous n'avancons pas,
et quand ils accourent vers nous en desordre, on se figure que nous avons
recule. C'est vrai que nous marchons lentement, mais si nous nous arretions
tout a coup, le monde s'en apercevrait surement, le c?ur du inonde
flechirait*.GEORGES BERNANOS. Lettre aux Anglais (J942).
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Примечания:
1. Республиканский девиз, упоминаемый здесь с некоторой иронией. 2. Битва в
Столетней войне (1415), во время которой французские рыцари были наголову разби-
ты англичанами. 3. Еще одна битва Столетней войны (1346), проигранная француза-
ми. 4. Неаполитанское королевство было завоевано в 1493 г. французским королем
Карлом VIII (1470 - 1498), однако вскоре он был вынужден оставить его, так как про-
тив него поднялась вся Италия. 5. Полуповороты вправо и влево, которые всадник
заставляет делать лошадь, чтобы показать свое мастерство.
Вопросы:
* Expliquez cette belle formule. Vous parait-elle exacte?
IV. Французы
Франция, не имеющая замкнутых естественных границ, неодно-
кратно подвергалась нашествиям; слишком много народов прошло по
ее земле, чтобы можно было говорить о какой-то однородности ее на-
селения. К тому же за последние двадцать-тридцать лет увеличилась
иммиграция, появилось много иностранцев - итальянцев, поляков,
бельгийцев, испанцев, -- и это еще более усилило разнообразие насе-
ления и в расовом, и в духовном отношении.
Действительно, что общего между светловолосым гигантом, кото-
рого нередко можно увидеть в Эльзасе или во Фландрии, и невысо-
ким, смуглым, сухощавым человеком, каких часто встречаешь в Бре-
тани или на средиземноморском побережье? И если гасконец слывет
по натуре открытым, большим говоруном, склонным к высокопарно-
сти, то нормандца характеризует любовь к определенности и обду-
манным действиям; если провансальцы, как правило, экспансивны, то
бретонцы и овернцы скрытны и замкнуты.
Тем не менее всему миру ясно, что существует некий особый - в
физическом и духовном смысле - не похожий ни на какой другой
тип человека, именуемою французом. Пожалуй, безболезненней всего
его удастся определить при помощи сравнений. Как правило, француз
не столь высокоросл, как немец или славянин; он не обладает такой
же физической силой, и виды спорта, в которых он блистает, требуют
скорей ловкости и быстроты реакции, нежели силы. По характеру он
не настолько серьезен, как немец, не так флегматичен, как англо-сакс.