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 elle avait plus d'une ressemblance. Des narines epaisses faisaient paraitre
 son nez encore plus court qu'il ne l'etait. (...) Cette face, comme bronzee
 par le soleil et dont les anguleux contours offraient une vague analogie
 avec le granit qui forme le sol de ces contrees, etait la seule partie visible
 du corps de cet etre singulier. A partir du cou, il etait enveloppe d'un
 sarrau, espece de blouse en toile rousse plus grossiere encore que celle des
 pantalons des conscrits les moins fortunes. Ce sarrau, dans lequel un
 antiquaire aurait reconnu la saye (saga) ou le sayon des Gaulois, finissait
 a mi-corps, en se rattachant a deux fourreaux de peau de chevre par des
 morceaux de bois grossieAment travailles et dont quelques-uns gardaient
 leur ecorce. Les peaux de bique, pour parler la langue du pays, qui lui
 garnissaient les jambes et les cuisses, ne laissaient distinguer aucune forme
 humaine. Des sabots enormes lui cachaient les pieds. Ses longs cheveux
 luisants, semblables aux poils de ses peaux de chevre, tombaient de chaque
 cote de sa figure, separes en deux parties egales, et pareils aux chevelures
 de ces statues du Moyen Age qu'on voit encore dans quelques cathedrales
 (...). Il tenait appuye sur sa poitrine, en guise de fusil, un gros fouet dont le
 cuir habilement tresse paraissait avoir une longueur double de celle des
 fouets ordinaires*. La brusque apparition de cet etre bizarre semblait facile
 a expliquer. Au premier aspect, quelques officiers supposerent que
 l'inconnu etait un requisitionnaire ou conscrit (l'un se disait pour l'autre)
 qui se repliait sur la colonne en la voyant arretee. Neanmoins, l'arrivee de
 cet homme etonna singulierement le commandant; s'il n'en parut pas le
 moins du monde intimide, son front toutefois devint soucieux; et, apres
 avoir toise2 l'etranger, il repeta machinalement et comme occupe de
 pensees sinistres: "Oui, pourquoi ne viennent-ils pas? le sais-tu, toi?
  - C'est que, repondit le sombre interlocuteur avec un accent qui
 prouvait une assez grande difficulte de parler francais, c'est que la, dit il en
 etendant sa rude et large main vers Ernee3 la est le Maine4, et la finit la
 Bretagne."
  Puis il frappa fortement le sol en faisant tomber le pesant manche de
 son fouet aux pieds memes du commandant (...). La grossierete de cet
 homme taille comme a coups de hache, sa noueuse ecorce, la stupide
 ignorance gravee sur ses traits, en faisaient une sorte de demi-dieu barbare.
 П gardait une attitude prophetique et apparaissait la comme le genie meme
 de la Bretagne, qui se relevait d'un sommeil de trois annees, pour
 recommencer une guerre ou la victoire ne se montra jamais sans de doubles
 crepes5.
 "Voila un joli coco6, dit Hulot en se parlant a lui-meme. Il m'a l'air d'etre
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 l'ambassadeur de gens qui s'appretent a parlementer a coups de fusil. (...)
 "D'ou viens-tu?"
  Son ?il avide et percant cherchait a deviner les secrets de ce visage
 impenetrable qui, pendant cet intervalle, avait pris la niaise expression de
 torpeur dont s'enveloppe un paysan au repos.
  "Du pays des Gars1, repondit l'homme sans manifester aucun trouble.
 - Ton nom? - Marche-a-terre.
  - Pourquoi portes-tu, malgre la loi, ton surnom de Chouan8?" Marche-
 a-terre, puisqu'il se donnait ce nom, regarda le commandant d'un air
 d'imbecillite si profondement vraie, que le militaire crut n'avoir pas ete
 compris. "Fais-tu partie de la requisition de Fougeres?"
  A cette demande, Marche-a-terre repondit par un de ces je ye sais pas,
 dont l'inflexion desesperante arrete tout entretien. Il s'assit tranquillement
 sur le bord du chemin, tira de son sarrau quelques morceaux d'une mince et
 noire galette de sarrasin9, repas national dont les tristes delices ne peuvent
 etre comprises que des Bretons, et se mit a manger avec une indifference
 stupide**.
  H. de BALZAC. Les Chouans (1820).
 Примечания:
  1. Военный плащ у галлов. 2. Смерив взглядом с головы до ног. 3. Небольшой го-
 родок в департаменте Майен, близ которого остановилась колонна новобранцев.
 4 Старинная провинция во Франции. 5. Не приводить к чрезмерным потерям с обеих
 сторон. Креп - полоса черной ткани, которую носят в знак траура. 6. Подозритель-
 ный тип, "гусь". 8. Diminutif populaire pour: garcons. 9. "Marche-a-terre " n'est qu'un
 surnom de guerre. 10. Из гречихи. Полное название: le ble sarrasin или le ble noir, т.е.
 сарацинское или черное зерно.
 Вопросы:
 * Etudiez l'art du portrait chez Balzac, d'apres tout ce passage.
  ** Quelle idee l'ecrivain semble-t-il se faire de la Bretagne et des Bretons dams cette
 description?
 MORT DE GAVROCHE
 Nombreux sont les mouvements revolutionnaires qui ont secoue Paris, dans
 la premiere moitie du XIX" siecle. Chaque fois et c'est la un fait remarquable
 des barricades s'eleverent dans les rues de la capitale.
 L'emeute de 1832, que decrit VICTOR HUGO dans Les Miserables, peut etre consideree
 comme une des plus representatives. Et Gavroche, le Sourire de Paris, cree, ou plutot
 anime par le genie du poete, demeure un type de la litterature francaise.
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 Il rampait a plat ventre, galopait a quatre pattes, prenait son panier1 aux
 dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d'un mort a l'autre, et vidait la
 giberne ou la cartouchiere comme un singe ouvre une noix.
  De la barricade, dont il etait encore assez pres, on n'osait lui crier de
 revenir de peur d'appeler l'attention sur lui.
 Sur un cadavre, qui etait un caporal, il trouva une poire a poudre.
  "Pour la soif"2, dit-il, en la mettant dans sa poche. A force d'aller en
 avant, il parvint au point ou le brouillard de la fusillade devenait
 transparent.
  Si bien que les tirailleurs de la ligne3 ranges et a l'affut derriere leur
 levee de paves, et les tirailleurs de la banlieue masses a l'angle de la rue, se
 montrerent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumee.
  Au moment ou Gavroche debarrassait de ses cartouches un sergent
 gisant pres d'une borne, une balle frappa le cadavre. "Fichtre! fit Gavroche,
 voila qu'on me tue mes morts." Une deuxieme balle fit etinceler le pave a
 cote de lui. Une troisieme renversa son panier. Gavroche regarda et vit que
 cela venait de la banlieue .
  Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les
 hanches, l'?il fixe sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta:,
 On est laid a Nanterre5 . '
 C'est la faute a Voltaire,
 Et bete a Palaiseau5
 C'est la faute a Rousseau6.
  Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les
 cartouches qui en etaient tombees, et avancant vers la fusillade, alla
 depouiller une autre giberne. La une quatrieme balle le manqua encore.
 Gavroche chanta:
 Je ne suis pas notaire,
 C'est la faute a Voltaire,
 Je suis petit oiseau,
 C'est la faute a Rousseau.
 Une cinquieme balle ne reussit qu'a tirer de lui un troisieme couplet:
 Joie est mon caractere,
 C'est la faute a Voltaire,
 Misere est mon trousseau,
 C'est la faute a Rousseau.
 Cela continua ainsi quelque temps.
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  Le spectacle etait epouvantable et charmant. Gavroche, fusille, taquinait
 la fusillade. Il avait l'air de s'amuser beaucoup. C'etait le moineau
 bequetant les chasseurs. Il repondait a chaque decharge par un couplet. On
 le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les
 soldats riaient en l'ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s'effacait dans
 un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait.
 revenait, ripostait a la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les
 cartouches, vidait les gibernes, et remplissait son panier. Les insurges,
 haletants d'anxiete, le suivaient des yeux. La barricade tremblait, lui.
 chantait. Ce n'etait pas un enfant, ce n'etait pas un homme; c'etait un
 etrange gamin-fee. On eut dit le nain invulnerable de la melee. Les balles
 couraient apres lui, il etait plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel
 effrayant jeu de cache-cache avec la mort; chaque fois que la face camarde7
 du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette8.
  Une balle pourtant, mieux ajustee ou plus traitre9 que les autres, finit
 par atteindre l'enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il
 s'affaissa. Toute la barricade poussa un cri; mais il y avait de l'Antee dans
 ce pygmee"; pour le gamin, toucher le pave, c'est comme pour le geant
 toucher la terre; Gavroche n'etait tombe que pour se redresser; il resta assis
 sur son seant, un long filet de sang rayait son visage, il eleva ses deux bras
 en l'air, regarda du cote d'ou etait venu le coup, et se mit a chanter:
 Je suis tombe par terre,
 C'est la faute a Voltaire,
 Le nez dans le ruisseau,
 C'est la faute a...
  Il n'acheva point. Une seconde balle du meme tireur l'arreta court. Cette
 fois il s'abattit la face contre le pave, et ne remua plus. Cette petite grande
 ame venait de s'envoler*.
 VICTOR HUGO. Les Miserables (1862).
 Примечания:
  1. Корзинка, в которую Гаврош собирал патроны с убитых солдат, чтобы отнести
 их повстанцам на баррикаде. 2. Намек на французскую пословицу: garder une foire
 pour la soif, т.е. про запас, на черный день. 3. Линейной (тяжелой) пехоты. 4. То есть
 со стороны солдат, подошедших из предместья. 5. Городки в предместьях Парижа.
 6. Великие философы XVIII в. Вольтер и Руссо были яростными противниками
 7. Безносое лицо. Имеется в виду череп, олицетворяющий смерть или Безносую.
 8. Щелчок. 9. Aujourd'hui, on dirait plutot traitresse. 10. В греческой мифологии титан Антей,
 сын Земли, прикасаясь к земле, обретал силы. 11. Пигмеи - низкорослые племена.
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 Вопросы:
  * Montrez que l'etroite et naturelle association du plaisant et du pathetique est un des
 . elements caracteristiques de ce recit.
 TARTARIN DE TARASCON1
 ALPHONSE DAUDET, Provencal d'adoption, n'a 'peut-etre pas beaucoup flatte
 ses compatriotes en creant l'immortel Tartarin de Tarascon. Mais il l'a fait
 avec cette gentillesse, cette absence de mechancete propre aux gens du Midi,
 qui savent comprendre la plaisanterie et distinguer le mensonge de la
 savoureuse "galejade".
  Tartarin de Tarascon a ete pressenti pour aller tenir un comptoir commercial
 a Shanghai. Apres avoir hesite, le brave meridional est reste dans sa ville natale.
  En fin de compte, Tartarin ne partit pas, mais toutefois cette histoire lui
 fit beaucoup d'honneur. Avoir failli aller a Shanghai ou y etre alle, pour
 Tarascon, c'etait tout comme. A force de parler du voyage de Tartarin, on
 finit par croire qu'il en revenait, et le soir, au cercle, tous ces messieurs lui
 demandaient des renseignements sur la vie a Shanghai, sur les m?urs, le
 climat, l'opium, le Haut Commerce.
  Tartarin, tres bien renseigne, donnait de bonne grace les details qu'on
 voulait, et, a la longue, le brave homme n'etait pas bien sur lui-meme de
 n'etre pas alle a Shanghai, si bien qu'en racontant pour la centieme fois la
 descente des Tartares, il en arrivait a dire tres naturellement: "Alors, je fais
 armer mes commis, je hisse le pavillon consulaire, et pan! pan! par les
 fenetres, sur les Tartares." En entendant cela, tout le cercle fremissait...
  "Mais alors votre Tartarin n'etait qu'un affreux menteur. - Non! mille
 fois non! Tartarin n'etait pas un menteur... - Pourtant, il devait bien savoir
 qu'il n'etait pas alle a Shanghai!-Eh! sans doute, il le savait. Seulement..."
  Seulement, ecoutez bien ceci. Il est temps de s'entendre une fois pour
 toutes sur cette reputation de menteurs que les gens du Nord ont faite aux
 Meridionaux. Il n'y a pas de menteurs dans le Midi, pas plus a Marseille
 qu'a Nimes, qu'a Toulouse, qu'a Tarascon. L'homme du Midi ne ment pas,
 il se trompe. Il ne dit pas toujours la verite, mais il croit la dire... Son
 mensonge a lui, ce n'est pas du mensonge, c'est une espece de mirage2...
  Oui, du mirage!.. Et pour bien me comprendre, allez-vous-en dans le
 Midi, et vous verrez. Vous verrez tout plus grand que nature. Vous verrez
 ces petites collines de Provence pas plus hautes que la butte Montmartre et
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 qui vous paraitront gigantesques, vous verrez la Maison Carree3 de
 Nimes- un petit bijou d'etagere -, qui vous semblera aussi grande que
 Notre-Dame. Vous verrez... Ah! le seul menteur du Midi, s'il y en a un,
 c'est le soleil... Tout ce qu'il touche, il l'exagere!.. Qu'est-ce que c'etait que
 Sparte au temps de sa splendeur? Une bourgade... Qu'Athenes? Tout au
 plus une sous-prefecture... et pourtant elles nous apparaissent comme des
 villes enormes. Voila ce que le soleil en a fait...
  Vous etonnerez-vous apres cela que le meme soleil, tombant sur
 Tarascon, ait pu faire d'un ancien capitaine d'habillement comme Bravida,
 le brave Bravida, d'un navet un baobab4, et d'un homme qui avait failli aller
 a Shanghai un homme qui y etait alle*?
  ALPHONSE DAUDET. Tartarin de Tarascon (1872).
 Примечания:
  1. Небольшой городок на левом берегу Роны недалеко от Авиньона. 2. Мираж
 3. Знаменитый античный храм в Ниме, построенный в римскую эпоху. Его размеры
 около 25 м в длину и 12 - в ширину. 4. Баобаб - африканское дерево, имеющее
 очень толстый ствол.
 Вопросы:
  * Cherchez, dans l'?uvre d'A. Daudet (et plus specialement dans Tartarin de Tarascon).
 d'autres passages ou l'ecrivain exploite comiquement ce gout de l'exageration propre, dit-il,
 aux gens de Provence.
 LA POIGNEE DE MAIN FRANCAISE
 C'est en effet un geste bien familier aux Francais, et dont la frequence etonne
 parfois les etrangers. MARC BLANCPA1N, dans ce "billet" d'un journal quotidien,
 repond a un lecteur qui deflorait le temps perdu a serrer des mains... et les
 risques d'infection que ce geste comporte.
  Je vous le dis tout de suite, monsieur, vos considerations economiques
 ne me touchent point. La demi-heure que nous perdons a nous serrer la
 main, nous sommes toujours capables, voyez-vous, de la rattraper. Parce
 que nous ne travaillons ni comme des b?ufs ni comme des machines, mais
 comme des hommes qui savent forcer l'allure, accelerer le rendement, faire
 vite ou plus vite encore selon leur humeur ou la necessite.
  Quant a l'echange de microbes, il ne nous effraie point; des microbes, il
 y en a partout: dans l'air que tous les hommes respirent, dans les boissons
 et les aliments qu'ils avalent - meme quand ces aliments sont enveloppes
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 de cellophane! Certes, toutes les mains ne sont pas agreables a serrer. Il en
 est de moites ou de rugueuses, de molles ou de brutales; mais la politesse
 est justement dans le petit effort que nous faisons pour surmonter nos
 repugnances. Et puis, monsieur, il vaut mieux tendre la main spontanement
 plutot que de se sentir oblige de la lever machinalement, comme faisaient
 tant de gens, il n'y a pas si longtemps, dans des pays, helas! voisins du
 notre!
  Ces serrements de mains ne sont pas toujours sinceres? Nous le savons,
 monsieur, et nous mettons dans ce geste ce que nous voulons y mettre: de
 l'amitie ou seulement un peu de cordialite, de la froideur quelquefois et
 meme une reprobation muette. Personne pour s'y tromper. Mais la main
 tendue et ouverte-meme reticente - signifie toujours qu'aucune haine
 n'est irremediable, que le pardon reste souhaitable et la reconciliation
 possible, que la vie entre nous garde ses chances de redevenir, aimable. Et
 c'est cela qui est important, bien plus important qu'une demi-heure de
 paperasserie plus ou moins utile*.
 MARC BLANCPAIN ( 1956).
 Вопросы:
 * Avez-vous une opinion sur cette question?
 LE CULTE DES "IDEES"
 Heritier de Voltaire par la souplesse de la pensee et la limpidite du style,
 ANDRE MAUROIS est aussi un des Francais qui connaissent le mieux les Anglo-
 Saxons. Nul ne paraissait plus qualifie pour etablir entre les uns et les autres
 une spirituelle comparaison.
  Un ecrivain americain, Claude Washburn, a dit de nous: "Les Francais
 sont logiques dans un monde de folie. Pour eux, non seulement 2 et 2 font 4,
 mais 32 et 32 font 64, et non 4-589 comme pour tout le monde. Leurs esprits
 sont ordonnes, balayes et clairs comme leur langage." Et un homme d'Etat
 anglais: "Quand je discute avec un Francais, tres vite vient un moment ou
 il me dit: "Tout de meme, vous reconnaissez que 2 et 2 font 4?" Je
 reponds: "Non", et la cooperation efficace commence."
  A la verite. Anglais et Americains se trompent en croyant les Francais
 logiques. Il arrive, tres souvent, que le Francais soit passionne au point
 d'oublier toute logique. Souvenons-nous de l'Affaire Dreyfus1 ou des
 discussions sur la С. Е. D.2 Nous avons eu Descartes et sa methode, mais
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 aussi Pascal et son abime; Voltaire, mais Rousseau; Anatole France1, mais
 Maurice Barres4. Ce qui reste exact, c'est que le Francais a le gout des
 idees et le respect de l'intelligence; en cela contraire a l'Anglais, qui a la
 mefiance des idees generales et le respect du caractere. Chez nous la
 culture occupe, dans l'echelle des valeurs, une place plus elevee qu'ailleurs.
  Hier, dans un train, j'ecoutais parler deux ingenieurs francais: "Ah! qu'il
 est difficile, soupirait l'un d'eux, de faire un rapport pour le patron! Il ne se
 contente pas de faits; il veut des idees transcendantes5 sur la politique et
 l'economie." Et l'autre, un peu plus tard, parlant de l'affaire qu'il dirige:
  "Elle est, disait-il, comme le Pelican de Musset6 Elle se laisse devorer
 par ses filiales."
  Idees transcendantes... Citations litteraires... Dialogue tres francais. Le
 polytechnicien, qui joue dans la vie de notre pays un role capital, constitue
 un remarquable exemple du culte de l'intelligence. Non seulement "il met
 en equations la guerre, la tempete et l'amour", mais il exige que les faits se
 soumettent a ses raisonnements. Voyez, dans Les Cyclones1 de Jules Roy,
 ce personnage de technicien qui a calcule un avion supersonique et qui,
 malgre les accidents, n'admet pas que l'evenement prenne le pas sur
 l'aerodynamique. Qui de nous n'a connu des ingenieurs qui jugeaient
 scandaleux que la mer demolit leurs digues? Des generaux qui mettaient
 leur point d'honneur a ne pas sacrifier leur doctrine a l'evidence contraire?
 Les administrations francaises sont les seules a emailler leurs reglements
 de formules mathematiques, qui dissimulent la complexite du reel sous la
 precision inhumaine des coefficients. Les partis politiques francais
 s'attachent plus aux principes qu'aux consequences.
 ANDRE MAUROIS. Portrait de la France et des Francais (1955).
 Примечания:
  \. В 1894 г. по сфабрикованному обвинению в шпионаже был осужден капитан
 французской армии А.Дрейфус, причем при полном отсутствии доказательств. Дело

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