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BIEN sur, BOILEAU n'est pas de ces poetes qui peuvent enthousiasmer lajeunesse: il legifere, avec trop de rudesse, fronce volontiers le sourcil, donne
de la ferule aux maladroits; en un mot il est le Pedant...
Mais s'il n'a rien invente, s'il s'est contente de donner forme aux principes que
depuis cinquante ans les ecrivains francais appliquaient plus ou moins,
consciemment, si meme son talent personnel patit beaucoup d'etre compare
a celui de ses grands contemporains, il a su formuler avec vigueur ce besoin
qu'eprouve notre poesie d'obeir a des regles severes, de soumettre le feu de
l'inspiration au double controle de la raison et d'une technique sans defauts,
Voila pourquoi L'Art poetique (1674) demeure comme une date capitale dans
l'histoire de notre litterature.
L'ART D'ECRIRE
Il est certains esprits dont les sombres pensees,
Sont d'un nuage epais toujours embarrassees;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'ecrire apprenez a penser.
Selon que notre idee est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on concoit bien s'enonce'- clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisement.
Surtout, qu'en vos ecrits la langue reveree
Dans vos plus grands exces vous soit toujours sacree.
En vain vous me frappez d'un son melodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux2:
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme3,
Ni d'un vers ampoule l'orgueilleux solecisme4.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un mechant ecrivain.
Travaillez a loisir, quelque ordre qui vous presse5
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arene6,
Dans un pre plein de fleurs lentement se promene,
Qu'un torrent deborde qui, d'un cours orageux
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
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Hatez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le metier remettez votre ouvrage:
Polissez-le sans cesse et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez*.
Art poetique, I, vers 147-174 (1674)
Примечания:
1. Выражается. 2. Неправильный. 3. Слово, позаимствованное из другого языка.
4. Неправильный языковый оборот, не нарушающий смысла высказывания. 5 Какие
бы ни были у вас причины спешить. 6. На песке.
Вопросы:
* Recherchez les vers (ou groupes de vers) qui ont pris, pour ainsi diref force de loi.
Essayez d'expliquer pourquoi ils ont eu cette fortune.
ANDRE CHENIER (1762-1794)
DANS un siecle -plus soucieux de philosopher que de rever et ou les poetes,
adonnes a l'imitation sterile du XVIIe siecle, ne valent pas les prosateurs, c'est
lui qui soutient le flambeau des Muses. Encore paya-t-il de sa tete, sur
l'echafaud, son sens aristocratique de la Beaute. Son plus grand merite est sans
doute d'avoir su echapper au manierisme de ses modeles grecs ou latins et
sauvegarder cette fluidite, cette transparence dans l'expression qui demeurent
quelques-uns des traits les plus 'constants de la poesie francaise.
LA JEUNE TARENTINE
Pleurez, doux alcyons1! o vous, oiseaux sacres,
Oiseaux chers a Thetis, doux alcyons, pleurez!
Elle a vecu, Myrto, la jeune Tareiitine2!
Un vaisseau la portait aux bords cle Camarine :
La, l'hymen, les chansons, les flutes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journee,
Dans le cedre4 enferme sa robe d'hymenee,
Et l'or, dont au festin ses bras seraient5 pares,
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Et pour ses blonds cheveux les parfums prepares.
Mais, seule sur la proue, invoquant les etoiles,
Le vent impetueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Etonnee et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roule sous la vague marine.
Thetis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
' Aux monstres devorants eut soin de le cacher.
Par ses ordres bientot les belles Nereides
L'elevent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zephyr7, depose mollement;
Puis de loin a grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et trainant un long deuil,
Repeterent: "Helas!" autour de son cercueil.
Helas! chez ton amant tu n'es point ramenee.
Tu n'as point revetu ta robe d'hymenee.
L'or autour de tes bras n'a point serre de n?uds.
Les doux parfums n'ont point coule sur tes cheveux*.
Idylles 41786).
Примечания:
1 Поэтическое название зимородка. По преданию, дочь Эола бросилась в море и
была превращена богами в зимородка - птицу, посвященную нереиде Фетиде, став-
шей матерью Ахилла. 2. Таранто - порт в южной Италии. 3. На Сицилии. 4 Сун-
дучок из кедрового дерева. 5. Futur du passe, amene par les temps de portait, devaient
(= allaient etre pares). 6. Оцепеневшая. 7. В южной Италии.
Вопросы:
* On etudiera la couleur antique dans ce poeme, les rythmes, et la valeur de certaines
reprises, qui agissent parfois a la facon de refrains.
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ALPHONSE DE LAMARTINE (1790-1869)
Il fut le Prince de la Jeunesse en 1820, au lendemain des Meditations. Aujour-
d'hui, l'ampleur et la chaleur de sa voix lui font tort: pour les lecteurs
essouffles que nous sommes devenus, elles ont trop longue baleine... Et
pourtant, II a revivifie le lyrisme francais, extenue depuis plus d'un siecle. Il
est d'instinct retourne a la source originelle de toute vraie poesie: le c?ur.
Aussi (comme Le Cid et Andromaque, La Nouvelle Heloise et Rene) les
Premieres Meditations sont-elles un commencement dans l'histoire des lettres
francaises.
Des pieces de ce recueil, ou l'on dirait que l'ame de Chateaubriand s'est
exprimee avec la musique de Racine, Le Lac reste ajuste titre la plus fameuse.
LE LAC
Ainsi, toujours pousses vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit eternelle emportes sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'Ocean des ages
Jeter l'ancre un seul jour?
О lac1 ! l'annee a peine a fini sa carriere,
Et pres des flots cheris qu'elle devait revoira Regarde!
Je viens seul m'asseoir sur cette pierre2
Ou tu la vis s'asseoir!
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dechires;
Ainsi le vent jetait l'ecume de tes ondes
Sur ses pieds adores.
Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout a coup des accents inconnus a la terre
Du rivage charme4 frapperent les echos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chere
Laissa tomber ces mots:
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"О temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides delices
Des plus beaux de nos jours!
"Assez de malheureux ici-bas vous implorent:
Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les devorent;
Oubliez les heureux.
"Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'echappe et fuit;
Je dis a cette nuit: "Sois plus lente"; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc, de l'heure fugitive,
Hatons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule et nous passons! "
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Ou l'amour a longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la meme vitesse,
Que les jours de malheur?
He quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passes pour jamais? Quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?
Eternite, neant, passe, sombres abimes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?
О lac! rochers muets! grottes! foret obscure!
Vous que le temps epargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature.
Au moins le souvenir!
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!
Qu'il soit dans le zephir qui fremit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords repetes,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartes!
Que le vent qui gemit, le roseau qui soupire,
Que les parfums legers de ton air embaume,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
Tout dise: "Ils ont aime!"*
Meditations poetiques. (Ecrit en septembre 1817)
Примечания:
1 Озеро Бурже в Савойе, на берегах которого Ламартин в октябре 1816 встретил
г-жу Шарль, вдохновившую его на написание )того стихотворения 2 Ламартин и
г-жа Шарль договорились встретиться вновь у озера в будущем году, но г-жа Шарль
тяжело заболела и не смогла приехать в Савойю. 3 Имеется в виду скала на западном
берегу озера Бурже неподалеку от аббатства Откомб, где Ламартин сделал первые
наброски этого стихотворения 4 В этимологическом смысле' неземные звуки, ча-
рующие берега...
Вопросы:
* Etudiez: 1° les differente rythmes de ce poeme et leur rapport avec les sentiments,
2° la musicalite de certains vers (notamment dans les trois dernieres strophes)
ALFRED DE VIQNY (1797-1863)
NE nous meprenons point sur son orgueil: c'est celui d'un homme blesse par la
vie et qui cherche au fond de soi, et de soi seul, le moyen de panser son
inguerissable blessure. Pour lui, la Poesie ne saurait donc etre consideree
comme un simple artifice d'expression: elle est la Realite meme, et presque la
seule certitude en ce monde. Par la, elle libere l'Homme, ecrase ou trahi de
toutes parts, et affirme la victoire de l'Esprit, sur les forces aveugles de la
Nature...
LA MAISON DU BERGER (fragment)
Eva ', j'aimerai tout dans les choses creees,
Je les contemplerai dans ton regard reveur
Qui repandra partout ses flammes colorees,
Son repos gracieux, sa magique saveur;
Sur mon c?ur dechire viens poser ta main pure,
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Ne me laisse jamais seul avec la Nature,
Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.
Elle me dit: "Je suis l'impassible theatre
Que ne peut remuer le pied de ses acteurs;
Mes marches d'emeraude et mes parvis d'albatre,
Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.
Je n'entends ni vos cris, ni vos soupirs; a peine
Je sens passer sur moi la comedie humaine
Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.
"Je roule avec dedain, sans voir et sans entendre,
A cote des fourmis les populations;
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre2,
J'ignore en les portant les noms des nations.
On me dit une mere et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hecatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations." (...)
C'est la ce que me dit sa voix triste et superbe,
Et dans mon c?ur alors je la hais, et je vois
Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe
Nourrissant de leurs sucs la racine des bois.
Et je dis a mes yeux qui lui trouvaient des charmes:
Ailleurs tous vos regrets, ailleurs toutes vos larmes,
Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.
Oh! Qui verra deux fois ta grace et ta tendresse,
Ange doux et plaintif, qui parle en soupirant?
Qui naitra comme toi, portant une caresse
Dans chaque eclair tombe de ton regard mourant,
Dans les balancements de ta tete penchee,
Dans ta taille indolente et mollement couchee,
Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant?
Vivez, froide nature, et revivez sans cesse
Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi;
Vivez, et dedaignez, si vous etes deesse,
L'homme, humble passager, qui dut vous etre un roi ; Plus
que tout votre regne et que vos splendeurs vaines,
J'aime la majeste des souffrances humaines;
Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi*.
1844. Paru dans Les Destinees en 1864.
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Примечания:
1 Поэт обращается к идеальной женщине. 2. Подземные ходы муравьев от люд-
ского праха. 3. Человек, который должен стать царем природы, так как он мыслит
Вопросы:
* Commentez en particulier les vers: "Aimez ce que jamais on ne verra deux fois" •- et:
"J'aime la majeste des souffrances humaines", dont Vigny disait: "Ce vers est le sens de tous
mes poemes philosophiques." (Journal d'un Poete). - Montrez aussi quel role de mediatrice
tient la femme entre le poete et la nature (cf. les premiers vers).
VICTOR HUGO (1802-1885)
DE tous nos poetes, il est le plus complet. Il s'est essaye dans tous les genres et
il y a manifeste une egale abondance, une -pareille surete. Il semblait avoir
recu tous les instruments a la fois. Et c'est vanite que pretendre decouvrir dans
cette ?uvre gigantesque le poeme qui en offre l'image la plus fidele.
Si l'on s'est arrete a une piece de vers tiree des Contemplations (1856), ce n'est
pas seulement parce que ce recueil est sans doute celui ou le genie de Victor
Hugo s'est exprime le plus completement. C'est aussi parce que ces vers, dedies
a Leopoldine, la fille ainee du poete morte dans un naufrage en 1843, ont une
simplicite qui, aujourd'hui encore, nous bouleverse.
ELLE AVAIT PRIS CE PLI...
Elle1 avait pris ce pli dans son age enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espere;
Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit pere;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, derangeait mes papiers, et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors, je reprenais, la tete un peu moins lasse,
Mon ?uvre interrompue, et, tout en ecrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque -folle et qu'elle avait tracee,
Et mainte page blanche entre ses mains froissee
Ou, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers;
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les pres verts,
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Et c'etait un esprit avant d'etre une femme.
Son regard refletait la clarte de son ame.
Elle me consultait sur tout a tous moments.
Oh! Que de soirs d'hiver radieux et charmants
Passes a raisonner langue, histoire et grammaire,
Mes quatre enfants groupes sur mes genoux, leur mere
Tout pres, quelques amis causant au coin du feu!
J'appelais cette vie etre content de peu!
Et dire2 qu'elle est morte! Helas! Que Dieu m'assiste!
Je n'etais jamais gai quand je la sentais triste;
J'etais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux*.
Les Contemplations (1856).
Примечания:
\. Маленькая Леопольдина Гюго, родившаяся в 1824 г. 2. Подумать только1