<< Пред.           стр. 40 (из 58)           След. >>

Список литературы по разделу

  Elles s'approcherent en meme temps, l'?il sec, etonnees, un peu
 craintives. Et il les embrassa l'une apres l'autre, sur les deux joues, d'un
 gros becot26 paysan. En voyant approcher cet inconnu, le petit enfant
 poussa des cris si percants, qu'il faillit etre pris de convulsions.
 Puis les deux hommes sortirent ensemble.
 Comme ils passaient devant le cafe du Commerce, Levesque demanda:
 "Si nous prenions toujours27 une goutte28?
 - Moi j'veux ben", declara Martin.
 Ils entrerent, s'assirent dans la piece encore vide.
  "Eh! Chicot, deux fil-en-six29, de la bonne, c'est Martin qu'est r'venu.
 Martin, celui a ma femme, tu sais ben, Martin des Deux-S?urs, qu'etait
 perdu".
  Et le cabaretier, trois verres d'une main, un carafon de l'autre,
 s'approcha, ventru, sanguin, bouffi de graisse, et demanda d'un air
 tranquille:
 "Tiens! te v'ia donc, Martin?"
 Martin repondit:
 "Me v'la*!..."
 GUY DE MAUPASSANT. Contes.
 Примечания:
  1. См. наш Том П. 2. Находился (глагол подразумевает, что огородик был квадрат-
 ной формы). 3. Малышей (разг.). 4. Normalement, on attendrait sur lesquelles. Sur qui ne
 s'emploie plus guere aujourd'hui que pour les personnes. 5. Parler campagnard.: Maman! -
 Qu'est-ce que lu as?-Le revoila: le voila encore (familier). 6. Морской термин, озна-
 чающий, что погибло все- экипаж, груз и судно. 7. Qu'il nous connait. - Peut-etre
 bien. - Quelque pauvre. 8. Prendre la fraiche, дышу свежим воздухом. - Est-ce que /с
 vous fais ton? 9. Pourquoi etes-vous comme en espionnage... 10. C'est-// point, n'est-ce
 point?.. 11. Какой-нибудь любопытный или злоумышленник. 12. Странные
 13. Va lui parler. - Ca me tourne les sangs: меня это тревожит, пугает. 14. Donne-lui un
 petit peu de pain. - II n'a rien mache, mange... 15. Сет, порт на Средиземном море
 16. Ou est-ce que... 17. J'allais ici (liaison fautive et populaire). 18. Toi. - 19. Moi. 20. Мы
 (судно) разбились и потонули на рифе. Nous nous sommes sauves. - Nous тот, ete
 pris. 21. M'a pris en passant, (liaison fautive.) 22. Qu'allons-nous faire a cette heure,
 maintenant? 23. Qu'elles sont grandes! 24. J'ai deux enfants, tu en as trois. 25. Votre peie
 26. Поцелуй в щеку (разг.). 27. Все-таки, по крайней мере. 28. По стаканчик)
 29. Крепкая нормандская водка.
  /
 326
 
 Вопросы:
  * Pouvez-vous dire ce qu'il y a de typiquement normand dans ce recit? - Montrai: la
 parfait accord entre le langage et la psychologie des personnages.
 MARCEL PROUST (1871-1922)
 Contrairement a ce qu'on pourrait imaginer, le style de PROUST n'a rien
 d'affecte. S'il est contourne, sinueux, charge d'indications minutieuses et
 d'images patiemment developpees, c'est qu'il s'applique a decrire des etats de
 conscience eux-memes fort embrouilles et a restituer les efforts d'une memoire
 jamais lasse de scruter le passe. Ainsi, comme l'ecrivain l'a specifie lui-meme,
 l'espece d'embarras, voire de confusion qu'il met a s'exprimer, n'a d'autre
 cause que son souci de "respecter la marche naturelle" de sa pensee...
 En fait, on se trouve la en presence d'un art nouveau, d'une sorte de style de
 dechiffrage, comme diraient les musiciens, s'enfoncant jusqu'aux racines de
 l'etre et associant etroitement le lecteur aux investigations douloureuses de
 l'auteur...
 LA MADELEINE
  Il y avait deja bien des annees que, de Combray1 tout ce qui n'etait pas
 le theatre et le drame de mon coucher, n'existait plus pour moi, quand un
 jour d'hiver, comme je rentrais a la maison, ma mere, voyant que j'avais
 froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de the.
 Je refusai d'abord, et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher
 un de ces gateaux courts et dodus appeles petites madeleines qui semblent
 avoir ete moules dans la valve rainuree2 d'une coquille de Saint-Jacques. Et
 bientot, machinalement, accable par la morne journee et la perspective d'un
 triste lendemain, je portai a mes levres une cuilleree du the ou j'avais laisse
 s'amollir un morceau de madeleine. Mais a l'instant meme ou la gorgee
 melee des miettes du gateau toucha mon palais, je tressaillis, attentif a ce
 qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir delicieux m'avait envahi,
 isole, sans la notion de sa cause3. Il m'avait aussitot rendu les vicissitudes
 de la vie indifferentes, ses desastres inoffensifs, sa brievete illusoire, de la
 meme facon qu'opere l'amour, en me remplissant d'une essence precieuse:
 ou plutot cette essence n'etait pas en moi, elle etait moi. J'avais cesse de me
 sentir mediocre, contingent4 mortel. D'ou avait pu me venir cette puissante
 joie? Je sentais qu'elle etait liee au gout du the et du gateau, mais qu'elle le
 depassait infiniment, ne devait pas etre de meme nature. D'ou venait-elle?
 327
 
 Que signifiait-elle? Ou l'apprehender? Je bois une seconde gorgee ou je ne
 trouve rien de plus que dans la premiere, une troisieme qui m'apporte un
 peu moins que la seconde. Il est temps que je m'arrete, la vertu du breuvage
 semble diminuer. Il est clair que la verite que je cherche n'est pas en lui.
 mais en moi. Il l'y a eveillee, mais ne la connait pas et ne peut que repeter
 indefiniment, avec de moins en moins de force, ce meme temoignage que
 je ne sais pas interpreter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et
 retrouver intact, a ma disposition, tout a l'heure pour un eclaircissement
 decisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est a lui de Irouver
 la verite. Mais comment? Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit st
 sent depasse par lui-meme; quand lui, le chercheur, est tout ensemble5 le
 pays obscur ou il doit chercher et ou tout son bagage ne lui sera de rien
 Chercher? pas seulement: creer. Il est en face de quelque chose qui n'est
 pas encore et que seul il peut realiser, puis faire entrer dans sa lumiere (...).
 Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce gout, c'etait celui du petit
 morceau de madeleine que le dimanche matin a Combray (parce que ce
 jour-la je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire
 bonjour dans sa chambre, ma tante Leonie m'offrait apres l'avoir trempe
 dans son infusion de the ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne
 m'avait rien rappele avant que je n'y eusse goute; peut-etre parce que, en
 ayant souvent apercu depuis, sans en manger, sur les tablettes des
 patissiers, leur image avait quitte ces jours de Combray pour se lier
 a d'autres plus recents; peut-etre parce que, de ces souvenirs abandonnes si
 longtemps hors de la memoire, rien ne survivait, tout s'etait desagrege; les
 formes - et celle aussi du petit coquillage de patisserie, si grassement
 sensuel, sous son plissage severe et devot - s'etaient abolies ou
 ensommeillees, avaient perdu la force d'expansion qui leur eut permis de
 rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passe ancien rien ne subsiste,
 apres la mort des etres, apres la destraction des choses, seules, plus freles,
 mais plus vivaces, plus immaterielles, plus persistantes, plus fideles,
 l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des ames, a se
 rappeler, a attendre, a esperer, sur la ruine de tout le reste, a porter sans
 flechir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'edifice immense du
 souvenir*.
  Du cote de chez Swann, I (1913).
 Примечания:
  I. Юный Пруст проводил каникулы у двоюродной бабушки в Ильере неподалек)
 от Шартра. Здесь Ильер именуется Комбре. 2. Зубчатой. 3. Sans que j'eusse conscience
 de sa cause. 4. Отданным на волю случая. 5. Одновременно.
 328
 
 Вопросы:
  * Comment cette, page justifie-t-elle le titre general de t'?uvre de Proust: "A la
 recherche du temps perdu"? - (Perdu = oublie.)
 FRANCOIS MAURIAC (ne en 1885)
 C'n. Y a en Mauriac un sensuel hante par les problemes du peche et de la
 grace, si sa -prose a parfois le sombre eclat ou se refletent les angoisses du
 chretien, elle peut aussi exprimer le diame humain avec une nettete, une
 simplicite qui sont d'un grand artiste. A cet ecrivain genereux le prix Nobel de
 litterature, en 7952, est venu apporter une consecration universelle.
 RUPTURE
  Robert Costadot etait presque fiance a Rose Revolou. Mais, depuis que la famille de ~
 celle-ci est ruinee, la mere de Robert fait tous ses efforts pour rompre les fiancailles. Fina-
 lement, le jeune homme cede a l'influence maternelle et decide de reprendre sa liberte.
 Comme l'orage grondait sur Bordeaux depuis deux jours, elle lui avait
 dit:
 "S'il pleut, attendez-moi chez le patissier, en face du jardin: oui. chez
 Jaeger; a six heures il n'y a personne."
  Le quart de six heures avait sonne. Robert avait deja mange trois
 gateaux, et, maintenant, il etait ec?ure. L'eau ruisselait contre la boutique.
 "Si dans cinq minutes elle n'est pas la, je partirai...", songeait-il. Il avait ses
 nerfs des jouis d'orage, il en avait conscience: il connaissait et redoutait
 cette irritabilite presque folle. Comme dans son enfance, le front colle a la
 vitre, il observa le jet illinuscule de chaque goutte sur le trottoir.
  Il se disait bien que Rose avait du etre retardee pai la pluie: elle ne
 pensait a rien, elle ne devait pas avoir de parapluie; elle arriverait dans un
 joli etat. . Il tourna les yeux vers les deux jeunes filles qui l'avaient servi
 tout a l'heure et qui chuchotaient derriere le comptoir. Il essaya d'imaginer
 l'impression que leur ferait Rose, et eut honte de sa honte. Il se leva, mit
 une piece de monnaie sur la table... Alors, il vit Rose qui s'arretait devant la
 porte, fermait avec peine un ridicule parapluie d'homme qu'avait du lui
 preter Chardon. Le vent collait contre ses cuisses une jupe mouillee. Elle
 entra, ne sut ou poser son parapluie ruisselant qu'une des demoiselles lui
 prit des mains, et alla s'asseoir pres de Robert.
 "J'ai couru", dit-elle.
 Il lui jeta un regard a la derobee:
 "En quel etat tu es! tu vas attraper mal...
 329
 
  - Oh! je suis resistante! Ma jupe est lourde de pluie, j'ai les pieds
 trempes, et je ne me changerai que dans deux heures! Mais ca ne fait rien,
 tu es la.
 - Tu te negliges trop. Rose. Tu meprises trop..."
 Elle l'interrompit, croyant que c'etait une louange:
  "Non, non... je ne suis pas plus courageuse qu'une autre, je n'ai aucun
 merite a ne pas penser a certaines choses: rien n'a d'importance que nous
 deux", dit-elle a voix basse.
 Elle approcha de ses levres le verre de malaga1 qu'on lui avait apporte.
  "Il faudrait aussi penser a moi, dit-il, penser a la petite Rose que j'ai
 aimee..."
 Elle le regarda avec etonnement. Il insista:
  "Elle n'avait pas une jupe trempee de pluie, cette petite Rose, ni des
 souliers pleins d'eau, ni des meches sous son vieux chapeau"... Ce n'est pas
 un reproche, reprit-il vivement. Mais quelquefois, il faut me pardonner si je
 dois faire un effort... "
 Elle ne le quittait pas des yeux. Il perdait pied:
  "Je voudrais que tu aies pitie de toi-meme... je veux dire: de ton visage,
 de tes mains, de tout ton corps.. "
 Elle cacha vivement ses mains sous la table. Elle etait devenue pale:
 "Je ne te plais plus?
  - Ce n'est pas la question. Rose... Je te demande d'avoir pitie de toi-
 meme. Tu es la seule femme que je n'aie jamais vue se regarder dans une
 glace. Il te suffirait d'un regard pour comprendre ce que je veux dire."
  Le magasin etait assombri par la pluie epaisse et par les ormeaux du
 cours de Gourgue. Elle avait baisse la tete sur le babaA qu'elle mangeait. Il
 comprit qu'elle pleurait et n'en fut pas attendri. Ce qu'il eprouvait, c'etait
 cet agacement, cette crispation qui se traduisit par ces mots a peine
 murmures: "Allons, bon! des larmes maintenant..." Elle dit, sans lever la
 tete:
  "Je merite tes reproches, cheri, mais si! Je vais t'expliquer: j'ai ete
 habituee a etre servie, depuis mon enfance. On faisait tout pour moi; on
 preparait mon bain, on faisait chauffer mon peignoir, la femme de chambre
 me frictionnait, me coiffait. Crois-tu que jusqu'a ces derniers temps, je
 n'avais jamais boutonne mes bottines moi-meme? Maintenant je rentre tard,
 je me leve a l'aube... Alors, je simplifie. Je me rends compte que je ne fais
 pas le necessaire... Je croyais que nous nous aimions au-dela de toutes ces
 choses... Je croyais que notre amour..."
  Elle ne put continuer. Un sanglot l'etouffait. Il ne l'aidait d'aucune
 parole. Il attendait, avec le sentiment obscur qu'ils suivaient tous deux une
 route inconnue qui pouvait le mener bien plus loin qu'il n'eut ose le rever.
 Tout a coup, elle lui prit la main, il vit de tout pres sa petite figure jaune et
 330
 
 mouillee. Il sentit son baleine amere:
 "Pourtant, samedi soir, dans le rond de tilleuls, je te plaisais?"
  Il repondit d'un ton excede: "Mais oui; mais oui!" Elle l'appela:
 "Robert!" Elle eut le sentiment qu'il s'eloignait, qu'il etait deja trop loin
 pour que sa voix portat jusqu'a lui. Mais non, ce n'etait pas vrai, elle le
 voyait assis la, une table les separait. C'etait son fiance, et elle serait sa
 femme en octobre. Et lui, il eprouvait en meme temps qu'elle son angoisse
 et retenait ses coups.
  "Tu vas prendre mal, dit-il. Viens a la maison, j'allumerai un grand
 feu."
  Elle le remercia humblement. Ils s'enfoncerent sous la pluie et, jusqu'a
 la maison Costadot, n'echangerent plus une parole. Robert savait que, ce
 jour-la, sa mere rentrait tard de la reunion des dames de charite. Il
 introduisit Rose, non dans sa chambre, mais au petit salon, et fit porter de
 la cuisine des fagots de sarments4. Il lui dit d'enlever ses souliers. Elle
 rougit:
 "Pardonne-moi, je crois que j'ai un bas troue... "
  II detourna un peu la tete. Ses vetements fumaient autour d'elle. Dans la
 glace de la cheminee, elle se vit tout a coup telle qu'elle apparaissait a
 Robert. Elle enleva son chapeau et essaya de rattraper ses meches. Il avait
 pris les bottines, il en toucha les semelles et les rapprocha du feu. Rose, qui
 etait debout, se pencha vers lui assis un peu en retrait et, pour l'obliger a la
 regarder, lui prit la tete a deux mains:
 "Tu es bon", dit-elle avec elan.
 Il protesta violemment:
 "Non, ne le crois pas. Rose. Non, je ne suis pas bon."
  Et tout a coup, ces mots qu'il n'avait pas prepares, cette petite phrase qui
 s'etait formee en lui a son insu s'echappa, sortit de lui comme un jet de
 salive, de seve ou de sang:
 "Pardonne-moi, je ne t'aime plus*."
 Les Chemins de la Mer (1939).
 Примечания:
  1. Сладкое, ароматное испанское вино либо вино из винограда сорта малага. Во
 Франции его иногда пьют горячим. 2. Роза, после того как ее семья разорилась, по-
 ступила на службу в магазин продавщицей. 3. Ромовая баба. 4. Обрезанные побеги
 виноградной лозы. На юге Франции их используют как дрова.
 Вопросы:
  * Montrez ce que la scene a de dramatique, au double sens du terme. - Quel est le
 caractere du jeune homme, tel qu'on peut le supposer d'apres ce passage?
 331
 
 JEAN COCTEAU (1892-1963)
 JEAN COCTEAU est l'acrobate, le prestidigitateur deslettres francaises. Dans
 tous les genres ou il s'est essaye (et l'on sait qu'il ne se contente pas d'ecrire,
 mais qu'il dessine aussi et tourne des films), il a apporte une optique originale,
 une maniere de saisir et de presenter les choses qui n'est qu'a lui. Cependant,
 c'est sans doute lorsqu'il a parle de l'enfance que cet enfant terrible de la
 litterature a le mieux laisse paraitre son gout pour les etres etranges et les
 destins hors serie.
 LES ENFANTS TERRIBLES
  La scene (une bataille entre ecoliers a coups de boules de neige) se passe a Paris, entre
 la rue d'Amsterdam et la rue de Clichy, non loin du petit lycee Condorcet.
  Ce soir-la, c'etait la neige. Elle tombait depuis la veille et naturellement
 plantait un autre decor. La cite reculait dans les ages; il semblait que la
 neige, disparue de la terre confortable, ne descendait plus nulle part
 ailleurs et ne s'amoncelait que la.
  Les eleves qui se rendaient en classe avaient deja gache, mache, tasse,
 arrache de glissades le sol dur et boueux. La neige sale formait une orniere
 le long du ruisseau. Enfin cette neige devenait la neige sur les marches, les
 marquises et les facades des petits hotels. Bourrelets, corniches, paquets
 lourds de choses legeres, au lieu d'epaissir les lignes, faisaient flotter
 autour une sorte d'emotion, de pressentiment, et grace a cette neige qui
 luisait d'elle-meme avec la douceur des montres au radium, l'ame du luxe
 traversait les pierres, se faisait visible, devenait ce velours qui rapetissait la
 cite, la meublait, l'enchantait, la transformait en salon fantome.
  En bas, le spectacle etait moins doux. Les becs de gaz eclairaient mal
 une sorte de champ de bataille vide. Le sol ecorche vif montrait des paves
 inegaux sous les dechirures du verglas; devant les bouches d'egout, des
 talus de neige sale favorisaient l'embuscade, une bise scelerate baissait le
 gaz par intervalles et les coins d'ombre soignaient deja leurs morts.
  De ce point de vue l'optique changeait. Les hotels cessaient d'etre les
 loges d'un theatre etrange et devenaient bel et bien des demeures eteintes
 expres, barricadees sur le passage de l'ennemi. Car la neige enlevait a la
 cite son allure de place libre ouverte aux jongleurs, bateleurs1, bourreaux et
 marchands. Elle lui assignait un sens special, un emploi defini de champ de
 bataille.
  Des quatre heures dix, l'affaire etait engagee de telle sorte qu'il devenait
 332
 
 hasardeux de depasser le porche. Sous ce porche se massaient les reserves2
 giossies de nouveaux combattants qui arrivaient seuls ou deux par deux*.
 " As-tu vu Dargelos? - Oui... non, je ne sais pas. "
  La reponse etait faite par un eleve qui, aide d'un autre, soutenait un des
 premiers blesses et le ramenait de la cite sous le porche. Le blesse, un
 mouchoir autour du genou, sautait a cloche-pied en s'accrochant aux
 epaules.
  Le questionneur avait une figure pale, des yeux tristes. Ce devait etre
 des yeux d'infirme; il claudiquait et la pelerine qui lui tombait a mi-jambes
 paraissait cacher une bosse, une protuberance4, quelque extraordinaire
 deformation. Soudain, il rejeta en arriere les pans de sa pelerine, s'approcha
 d'un angle ou s'entassaient les sacs des eleves, et l'on vit que sa demarche,
 cette hanche malade etaient simulees par une facon de porter sa lourde
 serviette de cuir. Il abandonna la serviette et cessa d'etre infirme, mais ses
 yeux resterent pareils.
 Il se dirigea vers la bataille.
  A droite, sur le trottoir qui touchait la voute, on interrogeait un
 prisonnier. Le bec de gaz eclairait la scene par saccades. Le prisonnier (un
 petit) etait maintenu par quatre eleves, son buste appuye contre le mur. Un
 grand, accroupi entre ses jambes, lui tirait les oreilles et l'obligeait a
 regarder d'atroces images . Le silence de ce visage monstrueux qui
 changeait de forme terrifiait la victime. Elle pleurait et cherchait a fermer

<< Пред.           стр. 40 (из 58)           След. >>

Список литературы по разделу