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talents litteraires; et le theatre me parut un champ d'honneur...LE COMTE. - Ah ! misericorde!
FIGARO. - (Pendant sa replique, le comte regarde avec attention du
cote de la jalousien.) En verite, je ne sais comment je n'eus pas le plus
grand succes, car j'avais rempli le parterre des plus excellents
travailleurs13; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les
cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et
d'honneur, avant la piece, le cafe14 m'avait paru dans les meilleures
dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale15...
LE COMTE. - Ah! la cabale! monsieur l'auteur tombe!..
FIGARO. - Tout comme un autre: pourquoi pas? Ils m'ont siffle; mais si
jamais je puis les rassembler...
LE COMTE. - L'ennui te vengera bien d'eux?
FIGARO. - Ah! comme je leur en garde16, morbleu!
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LE COMTE. - Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au
palais pour maudire ses juges?
FIGARO. - On a vingt-quatre ans au theatre; la vie est trop courte pour
user un pareil ressentiment.
LE COMTE. -Ta joyeuse colere me rejouit. Mais tu ne me dis pas ce qui
t'a fait quitter Madrid.
FIGARO. - C'est mon bon ange. Excellence, puisque je suis assez
heureux pour retrouver mon ancien maitre. Voyant a Madrid que la
republique des lettres etait celle des loups, toujours armes les uns contre
les autres, et que, livres au mepris ou ce risible acharnement les conduit,
tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les
maringouins17, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout
ce qui s'attache a la peau des malheureux gens de lettres, achevaient de
dechiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigue d'ecrire,
ennuye de moi, degoute des autres, abime de dettes et leger d'argent; a la
fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est preferable aux vains honneurs
de la plume, j'ai quitte Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant
philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-
Morena, l'Andalousie; accueilli dans une ville, emprisonne dans l'autre, et
partout superieur aux evenements; loue par ceux-ci, blame par ceux-la;
aidant au bon temps; supportant le mauvais; me moquant des sots, bravant
les mechants; riant de ma misere et faisant la barbe a tout le monde - vous
me voyez enfin etabli dans Seville, et pret a servir de nouveau Votre
Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner*.
LE COMTE. - Qui t'a donne une philosophie aussi gaie?
FIGARO. - L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur
d'etre oblige d'en pleurer**.
Acte 1, sc.ii
Примечания:
1. Граф Альмавива переоделся студентом, чтобы иметь возможность оказаться по-
ближе к Розине, в которую он влюблен. Под ее окном он сталкивается с цирюльником
Фигаро. 2. На конных заводах. 3. Сильнодействующие лекарства, а также лошадиные
дозы. 4. Ходячая французская шутка об овернцах, которые считаются людьми креп-
кими и грубыми. 5. Торопливо пишущим. 6. Клорида - одно из женских имен, упот-
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реблявшихся в галантной поэзии. 7. Загадки. 8 Небольшие комплиментарные стихо.
творения. 9. Что печатался при жизни. 10. Розина, в которую он влюблен
11 D'ailleurs, du reste, впрочем 12 Жалюзи. 13 Имеются в виду клакеры, которые за
деньги поддерживали аплодисментами автора и пьес) 14. Кофейни. В ту эпоху ко-
фейня была местом, где собирались литераторы. 15. Шайки, клики, г.е тех, кго хотет
бы провалить пьесу 16. Il leur en garde de la rancune - затаил злобу 17 Разновид-
ность комаров. Здесь имеет место игра слов: Mann - королевский цензор, которого
недолюбливал Бомарше.
Вопросы:
* Relever les traits de satire sociale contenus dans ce morceau.
** En quoi le comique de Beaumarchais differe-t-u lie celui de Moliere et de celui de
Marivaux?
LA "PREMIERE" D'HERNANI (1830)
RlEN que la piece d'Hernani contienne, far elle-meme, des beautes estimables
encore aujourd'hui, on ne lui accorderait certainement pas une place de cette
importance dans l'histoire du theatre francais, si, lors de la premiere
representation, elle n'avait donne lieu a une "bataille" aussi bruyante que
spectaculaire. En fait, elle permit aux partisans et aux ennemis du romantisme
de se departager en deux factions resolument opposees, dont le parti etait pris
avant meme que le drame eut ete joue...
A relire les savoureuses relations qui nous ont ete laissees de cette " premiere"
memorable, on s'apercevra, en tout cas, que la nouvelle ecole ne manquait pas
de pittoresques defenseurs.
Pour bien combiner leur plan strategique et bien assurer leur ordre de
bataille, les jeunes gens' demanderent a entrer dans la salle avant le public.
On le leur permit, a condition qu'ils seraient entres avant qu'on ne fit
queue. On leur donna jusqu'a trois heures. C'eut ete bien si on les avait
laisses monter, comme faisaient les claqueurs2, par la petite porte de
l'obscur passage maintenant supprime. Mais le theatre, qui apparemment ne
desirait pas les cacher, leur assigna la porte de la rue Beaujolais, qui etait la
porte royale; de crainte d'arriver trop tard, les jeunes bataillons arriverent
trop tot, la porte n'etait pas ouverte, et des une heure les innombrables
passants de la rue Richelieu virent s'accumuler une bande d'etres
farouches et bizarres, barbus, chevelus, habilles de toutes les facons,
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excepte a la mode, en vareuse, en manteau espagnol, en gilet a la Robes-
pierre, en toque a la Henri III, ayant tous les siecles et tous les pays sur les
epaules et sur la tete, en plein Paris, en plein midi. Les bourgeois
s'arretaient stupefaits et indignes. M. Theophile Gautier surtout insultait les
yeux par un gilet de satin ecarlate et par l'epaisse chevelure qui lui
descendait jusqu'aux reins.
La porte ne s'ouvrait pas; les tribus4 genaient la circulation, ce qui leur
etait fort indifferent, mais une chose faillit leur faire perdre patience. L'art
classique ne put voir tranquillement ces hordes de barbares qui allaient
envahir son asile; il ramassa toutes les balayures et toutes les ordures du
theatre, et les jeta des combles sur les assiegeants. M. de Balzac recut pour
sa part un trognon de chou. Le premier mouvement fut de se facher; c'etait
peut-etre ce qu'avait espere l'art classique; le tumulte aurait amene la police
qui aurait saisi les perturbateurs, et les perturbateurs auraient ete
naturellement bien lapides. Les jeunes gens sentirent que le moindre
pretexte serait bon, et ne le donnerent pas.
La porte s'ouvrit a trois heures et se referma. Seuls dans la salle, ils
s'organiserent. Les places reglees, il n'etait encore que trois heures et
demie; que faire jusqu'a sept? On causa, on chanta, mais la conversation et
les chants s'epuisent. Heureusement qu'on etait venu trop tot pour avoir
dine, alors on avait apporte des cervelas, des saucissons, du jambon, du
pain, etc. On dina donc, les banquettes servirent de tables et les mouchoirs
de serviettes. Comme on n'avait que cela a faire, on dina si longtemps qu'on
etait encore a table quand le public entra. A la vue de ce restaurant, les
locataires des loges se demanderent s'ils revaient. En meme temps, leur
odorat etait offense par l'ail des saucissons*.
Mme VICTOR HUGO. Victor Hugo raconte -par un temoin de sa vie.
Примечания:
1. Романтики, пришедшие поддержать пьесу Виктора Гюго 2. Клакеры, которым
платили, чтобы они аплодировали пьесе. 3 На которой тогда находился Театр-
Франсез. 4. Имеются в виду "молодые дикари", пришедшие поддержать пьесу.
Вопросы:
* Determinez les elements a la fois pittoresques et realistes contenus dans cette page.
Montrez que la bonne humeur n'en est pas exclue.
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ALFRED DE MUSSET (1810-1857)
APRES l'echec de La Nuit venitienne (1830), MUSSET, alors tout juste age de
vingt ans, tourna le dos a la scene. Il n'en continua -pas moins d'ecrire de;,
pieces, soit en les rassemblant sous le titre un peu desabuse de Spectacle dans
un Fauteuil (1832), soit en les publiant dans la Revue des Deux Mondes ou Le
Constitutionnel, mais sans penser, semble-t-il, qu'elles pussent etre un jour
representees. Or, par un curieux paradoxe, de tout le ttleatre'romantique, c'est
celui de Musset qui est reste le plus vivant et qui, aujourd'hui encore, est joue
le plus volontiers.
C'est que l'ecrivain, plutot que de pretendre realiser d'ambitieuses formule:,,
ecoutait la voix de son c?ur. Un c?ur dechire, ecartele entre un pessimisme
foncier et une ironie prompte a decouvrir le ridicule des choses. Dans nombre
de ses pieces, Musset s'est d'ailleurs dedouble sous la forme d'un heros devore
de tristesse, tel qu'est Fantasia, et d'un personnage de franc bon sens, tel qu'est
son ami Spark...
FANTASIO(1834)
SPARK. - Tu me fais l'effet d'etre revenu de tout.
FANTASIO. - Ah ! pour etre revenu de tout, mon ami, il faut etre alle
dans bien des endroits.
SPARK. - Eh bien, donc?
FANTASIO. - Eh bien, donc! ou veux-tu 'que j'aille? Regarde cette
vieille ville enfumee; il n'y a pas de places, de rues, de ruelles ou je n'aie
traine ces talons uses, pas de maisons ou je ne sache quelle est la fille ou la
vieille femme dont la tete stupide se dessine eternellement a la fenetre; je
ne saurais faire un pas sans marcher sur mes pas d'hier; eh bien, mon cher
ami, cette ville n'est rien aupres de ma cervelle. Tous les recoins m'en sont
cent fois plus connus; toutes les rues, tous les trous de mon imagination
sont cent fois plus fatigues; je m'y suis promene en cent fois plus de sens,
dans cette cervelle delabree, moi son seul habitant! Je m'y suis grise dans
tous les cabarets; je m'y suis roule comme un roi absolu dans un carrosse'
dore; j'y ai trotte en bon bourgeois sur une mule pacifique, et je n'ose
seulement pas y entrer comme un voleur, une lanterne sourde a la main.
SPARK. - Je ne comprends rien a ce travail perpetuel sur toi-meme.
Moi, quand je fume, par exemple, ma pensee se fait fumee de tabac; quand
je bois, elle se fait vin d'Espagne ou biere de Flandre; quand je baise la
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main de ma maitresse, elle entre par le bout de ses doigts effiles pour se
repandre dans tout son etre sur des courants electriques; il me faut le
parfum d'une fleur pour me distraire, et de tout ce que renferme
l'universelle nature, le plus chetif objet suffit pour me changer en abeille et
me faire voltiger ca et la avec un plaisir toujours nouveau.
FANTASIO. - Tranchons le mot2 tu es capable de pecher a la ligne?
SPARK. - Si cela m'amuse, je suis capable de tout.
FANTASIO. - Meme de prendre la lune avec les dents ?
SPARK. - Cela ne m'amuserait pas.
FANTASIO. - Ah, ah! qu'en sais-tu? Prendre la lune avec les dents n'est
pas a dedaigner. Allons jouer au trente et quarante4.
SPARK. - Non, en verite.
FANTASIO. - Pourquoi?
SPARK. - Parce que nous perdrions notre argent.
FANTASIO. - Ah! mon Dieu! qu'est-ce que tu vas imaginer la! Tu ne
sais quoi inventer pour te torturer l'esprit. Tu vois donc tout en noir,
miserable? Perdre notre argent! Tu n'as donc dans le c?ur ni foi en Dieu, ni
esperance? Tu es donc un athee epouvantable, capable de me dessecher le
c?ur et de me desabuser de tout, moi qui suis plein de seve et de jeunesse?
(Il se met a danser.)
SPARK. - En verite, il y a de certains moments ou je ne jurerais pas que
tu n'es pas rou*.
Acte I, se. II.
Примечания:
1. То есть пьесы, которые читают, сидя в кресле 2. Поговорим откровенно.
3. Даже на невозможное? 4. Карточная игра.
Вопросы:
* Cherchez dans la vie et l'oeuvre de Musset ce qui y rappelle Fantasio et ce qui y
rappelle Spark.
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HENRY BECQUE (1837-1899)
DES auteurs dramatiques de la fin du XIXe siecle, HENRY BECQUE, a qui l'on
doifLes Corbeaux (1882) et La Parisienne (1885) est sans doute le plus
moderne. Renoncant aux artifices (ou, comme on dit, aux "ficelles") du metier,
chers a tant de ses contemporains, il compte avant tout sur son sens de
l'observation psychologique et sur la simplicite nue de son dialogue pour
emouvoir le spectateur.
LES CORBEAUX (1882)
La famille Vigneron vivait heureuse, quand le pere, industriel aise, est mort brusquement
Du jour au lendemain la situation a change: les hommes d'affaires, pareils a des "corbeaux",
se sont arrache les biens de Mme Vigneron et de ses filles. C'est alors que l'une d'elles, Marie.
se voit proposer d'epouser Teissier, l'ancien associe de son peYe, qui est vieux, mais riche, et,
par la, capable de tirer d'embarras la mere et les s?urs de la leune fille.
BOURDON1
...Vous avez entendu, mademoiselle, ce que je viens de dire a votre
mere. Faites-moi autant de questions que vous voudrez, mais abordons,
n'est-ce pas, la seule qui soit veritablement importante, la question d'argent.
Je vous ecoute.
MARIE
Non, parlez vous-meme.
BOURDON
Je suis ici pour vous entendre et pour vous conseiller.
MARIE
II me serait penible de m'appesantir la-dessus.
BOURDON, souriant.
Bah! vous desirez peut-etre savoir quelle est exactement, a un sou pres,
la fortune de M. Teissier?
MARIE
Je la trouve suffisante, sans la connaitre.
BOURDON
Vous avez raison. Teissier est riche, tres riche, plus riche, le sournois"
qu'il n'en convient lui-meme. Allez donc, mademoiselle, je vous attends.
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MARIE
M. Teissier vous a fait part sans doute de ses intentions?
BOURDON
Oui, mais je voudrais connaitre aussi les votres. Il est toujours
interessant pour nous de voir se debattre les parties3.
MARIE
N'augmentez pas mon embarras. Si ce mariage doit se faire, j'aimerais
mieux en courir la chance plutot que de poser des conditions.
BOURDON, souriant toujours.
Vraiment! (Marie le regarde fixement.) Je ne mets pas en doute vos
scrupules, mademoiselle; quand on veut bien nous en montrer, nous
sommes tenus de les croire sinceres. Teissier se doute bien cependant que
vous ne l'epouserez pas pour ses beaux yeux. Il est donc tout dispose deja a
vous constituer un douaire4; mais ce douaire, je m'empresse de vous le dire,
ne suffirait pas. Vous faites un marche, n'est-il pas vrai, ou bien, si ce mot
vous blesse, vous faites une speculation; elle doit porter tous ses fruits. Il
est donc juste, et c'est ce qui arrivera, que Teissier, en vous epousant, vous
reconnaisse commune en biens5, ce qui veut dire que la moitie de sa
fortune, sans retractation6 et sans contestation possibles, vous reviendra
apres sa mort. Vous n'aurez plus que des v?ux a faire pour ne pas l'attendre
trop longtemps*. (Se retournant vers Mme Vigneron.) Vous avez entendu,
madame, ce que je viens de dire a votre fille?
MADAME VIGNERON
J'ai entendu.
BOURDON
Que pensez-vous?
MADAME VIGNERON
Je pense, monsieur Bourdon, si vous voulez le savoir, que plutot que de
promettre a ma fille la fortune de M. Teissier, vous auriez mieux fait de lui
conserver celle de son pere.
BOURDON
Vous ne sortez pas de la, vous, madame. (Revenant a Marie.) Eh bien!
mademoiselle, vous connaissez maintenant les avantages immenses qui
vous seraient reserves dans un avenir tres prochain; je cherche ce que vous
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pourriez opposer encore, je ne le trouve pas. Quelques objections de
sentiment peut-etre? Je parle, n'est-ce pas, a une jeune fille raisonnable,
bien elevee, qui n'a pas de papillons7 dans la tete. Vous devez savoir que
l'amour n'existe pas; je ne l'ai jamais rencontre pour ma part. Il n'y a que
des affaires en ce monde; le mariage en est une comme toutes les autres;
celle qui se presente aujourd'hui pour vous, vous ne la retrouveriez pas une
seconde fois.
MARIE
M. Teissier, dans les conversations qu'il a eues avec vous, a-t-il parle de
ma famille?
BOURDON
De votre famille? Non. (Bas.) Est-ce qu'elle exigerait quelque chose?
MARIE
M. Teissier doit savoir que jamais je ne consentirais a me separer d'elle
BOURDON
Pourquoi vous en separerait-il? Vos s?urs sont charmantes, madame
votre mere est une personne tres agreable. Teissier a tout interet d'ailleurs
a ne pas laisser sans entourage une jeune femme qui aura bien des
moments inoccupes. Preparez-vous, mademoiselle, a ce qui me reste a vous
dire. Teissier m'a accompagne jusqu'ici; il est en bas, il attend une reponse
qui doit etre cette fois definitive; vous risqueriez vous-meme en la
differant. C'est donc un oui ou un non que je vous demande.
Silence.
MADAME VIGNERON
En voila assez, monsieur Bourdon. J'ai bien voulu que vous appreniez
a ma fille les propositions qui lui etaient faites, mais si elle doit les
accepter, ca la regarde, je n'entends pas que ce soit par surprise, dans un
moment de faiblesse ou d'emotion. Au surplus, je me reserve, vous devez
bien le penser, d'avoir un entretien avec elle ou je lui dirai de ces choses
qui seraient deplacees en votre presence, mais qu'une mere, seule avec son
enfant, peut et doit lui apprendre dans certains cas. Je n'ai pas, je vous
l'avoue, une fille de vingt ans, pleine de c?ur et pleine de sante, pour la
donner a un vieillard.
BOURDON
A qui la donnerez-vous? On dirait, madame, a vous entendre, que vous
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avez des gendres plein vos poches et que vos filles n'auront que l'embarras