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 lampes et un miroir. Alors la fleur peut se mirer la nuit. Elle a ainsi sans fin
 la jouissance de sa splendeur.
 Claude Monet aurait compris cette immense charite du beau, cet
 encouragement donne par l'homme a tout ce qui tend au beau, lui qui toute
 sa vie a su augmenter la beaute de tout ce qui tombait sous son regard. Il
 eut a Giverny quand il fut riche - si tard! -, des jardiniers d'eau pour
 laver de toute souillure les larges feuilles des nenuphars en fleurs, pour
 animer les justes courants qui stimulent les racines, pour ployer un peu
 plus la branche du saule pleureur qui agace sous le vent le miroir des eaux.
 Bref, dans tous les actes de sa vie, dans tous les efforts de son art,
 Claude Monet fut un serviteur et un guide des forces de beaute qui menent
 le monde.
  GASTON BACHELARD. Revue Verve. №' 27 et 28.
 442
 
 Примечания:
  \. Нимфеи или ненюфары - белые водяные лилии. 2. Разновидность моллюсков,
 отличающаяся разнообразием форм. 3. Чтобы овладеть Ледой. Зевс превратился
 в лебедя. 4. Утонченным сознанием собственной пустоты. 5. Цветоножка, черешок.
 6. Небольшая деревня близ Вернона (департамент Эвр), где Моне жил с 1883 г. и до
 самой смерти.
 Вопросы:
 * Essayez, a votre tour, de justifier cette heureuse formule.
  ** En quel sens un peintre feut-il ajouter a la beaute de la nature?- On songera a
 cette definition que la scolastique donnait de l'art: "Homo additus naturae" (L'homme
 ajoute a la nature).
 GEORGES BRAQUE (ne en 1882)
 Bien qu'il soit ne a Argenteuil, un des lieux qui ont le plus heureusement
 inspire Claude Monet, GEORGES BRAQUE sera l'un de ceux qui rompront de la
 facon la plus complete et la plus brutale avec les diaprures et les papillo-
 tements de l'impressionnisme. S'il est, en effet, possible de distinguer dans sa
 longue carriere des periodes jalonnant l'evolution de son art. Braque demeure,
 avant tout, comme l'un des initiateurs du cubisme, c'est-a-dire du retour a la
 "regle " et a la composition.
 PROPOS DE GEORGES BRAQUE
  La seule chose qui compte, qui soit Valable a un moment donne, c'est le
 rapport qui s'etablit entre l'artiste et la realite. Le tableau nait du rapport
 entre l'artiste et le motif, et il se trouve quelquefois que le tableau
 ressemble plus au motif qu'a l'artiste, comme un enfant ressemble plus a sa
 mere qu'a son pere ou inversement. Pour moi les choses ne prennent leur
 valeur que par rapport a moi, que lorsqu'elles se presentent a moi. Une
 pierre est sur la route: je l'utilise pour caler une roue de ma voiture; elle
 n'existait pas, je lui ai donne la vie en la faisant cale. En la quittant je la
 restitue a son neant. Ces rapports varient a l'infini. Ils creent la diversite a
 l'infini de la peinture.
 443
 
 * * *
  II ne faut pas croire que nous voyons un Raphael comme le voyaient les
 contemporains de Raphael; les rapports ne sont pas les memes*. 11 y a
 cependant une certaine permanence des rapports: le commun qui
 personnifie l'humain. C'est pourquoi une peinture de Raphael nous touche.
 L'?uvre d'art est un foyer qui repand une chaleur: chacun en prend ce qu'il
 peut en recevoir. Il ne faut pas confondre commun et semblable. Entre
 Raphael et Corot, il y a du commun; mais entre Corot et Trouillebert2, il n'y
 a pas de commun, il y a du semblable.
  A propos des peintures des premiers Cubistes, on a prononce lp mot
 "abstrait". Il y avait une sorte d'algebre, parce que les objets etaient
 remplaces par des formes abstraites. Maintenant certains jeunes se disent
 non figuratifs, mais ce sont les plus figuratifs des peintres. Ils prennent des
 figures geometriques, un cercle par exemple, mais en peignant de rouge
 l'interieur de ce cercle, ils en font un disque. La chose la plus abstraite et la
 plus figurative en meme temps, c'est un profil dessine d'un seul trait.
 Exprimer tous les volumes et obtenir une ressemblance avec un trait, cela
 correspond a tous les moyens d'expression et un profil n'est pas un
 symbole. La peinture non figurative nous est comprehensible grace a la
 complicite des choses que nous connaissons deja. Une peinture avec des
 plans ronds nous est sensible parce que nous connaissons Cezanne: un
 rond, pour nous, c'est une pomme. Certains ne s'apercoivent pas qu'ils font
 de l'Impressionnisme, et que meme leur touche n'est que de
 l'Impressionnisme masque. L'Impressionnisme est francais**. Un portrait
 d'Ingres a un cote atmospherique que l'on retrouve dans presque tous les
 tableaux francais. Chez Cranach, rien de semblable: il est expressionniste
 (...).
  Quand on est jeune, le premier souci qu'on ait, est de se mesurer avec ce
 qui est pres de soi, sans choix. Quand j'etais a l'Academie3 je n'avais qu'une
 idee, c'etait de faire aussi bien ou mieux que ceux qui etaient a cote de moi.
 Quand l'age de la reflexion est venu, j'ai commence a choisir un peu,
 a avoir des preferences pour certains artistes. Il y a une evolution; en
 travaillant, on a la propre revelation de soi-meme; alors il n'y a plus qu'une
 ressource, faire de ses defauts ses qualites.
  Vous avez le desir de faire un tableau, ce desir se precise et devient une
 idee. Mais souvent la toile n'accepte pas votre idee; il y a lutte. Vous
 travaillez, vous finissez sans etre entierement satisfait, il y a quelque chose
 qui ne va pas. De guerre lasse, vous retournez la toile; deux mois apres,
 vous la regardez, par hasard, et vous decouvrez qu'au fond elle vous plait,
 444
 
 qu'elle s'est faite toute seule. Il s'est passe simplement ceci: que vous avez
 perdu l'idee qui vous obnubilait, que vous vous etes libere d'elle et vous
 vous trouvez en presence du tableau termine. L'idee, c'est le ber4 du
 tableau, l'echafaudage qui sert a construire et a lancer le navire.
  Avec la nature morte, il s'agit d'un espace tactile, et meme manuel, que
 l'on peut opposer a l'espace du paysage, espace visuel. La nature morte fait
 participer le sens tactile dans la conception du tableau. Elle cesse d'etre
 nature morte des qu'elle n'est plus a la portee de la main. Dans l'espace
 tactile, vous mesurez la distance qui vous separe de l'objet tandis que dans
 l'espace visuel, vous mesurez la distance qui separe les choses entre elles.
 C'est ce qui m'a amene, autrefois, du paysage a la nature morte.
  Arrive a un certain age, on n'est plus domine par aucune preoccupation
 de demonstration quelconque. Il ne s'agit plus d'acquerir, il s'agit de
 s'accomplir***. On est aussi disponible qu'a vingt ans: c'est le moment de '
 regarder librement la nature.
 J'ai trouve mes reflexions, apres coup, en regardant ce que j'avais fait.
 {Ces propos ont ete notes au cours de conversations pendant le printemps 1952 )
 Revue Verve. №s 27 et 28
 Примечания:
  1. "J'aime la regle qui corrige l'emotion" (G. Braque). 2. Французский пейзажист,
 подражавший стилю Коро. 3. В Академии Художеств. 4. Салазки, с помощью которых
 производится спуск корабля на воду.
 Вопросы:
 * Cherchez des exemples de cette relativite du gout.
 ** Que signifie cette formule de G. Braque?
 *** Montrez que la carriere du peintre justifie magnifiquement cette affirmation.
 HECTOR BERLIOZ (1803 1869)
 BERLIOZ rappelle Beethoven et, en meme temps, annonce Wagner. Beethoven
 par sa Symphonie fantastique, et de grands morceaux d'orchestre tels que
 Romeo et Juliette ou l'ouverture du Carnaval romain. Wagner par ses operas:
 La Damnation de Faust et Les Troyens a Carthage...
 445
 
 A une epoque ou la musique francaise s'enlisait dans l'art le plus
 conventionnel, il a su montrer qu'elle pouvait cependant inspirer un genie,
 capable d'exprimer toutes les nuances du sentiment humain, depuis les
 suavites de L'Enfance du Christ jusqu'aux tonnerres d'outre-tombe du
 Requiem...
 UNE TOURNEE DE BERLIOZ EN EUROPE CENTRALE
  Depuis le sejour de Bonn1, Berlioz est repris d'une fringale de voyages
 et il tente d'organiser en hate de futurs concerts en Autriche, en Hongrie, en
 Boheme. Paris l'ennuie et le devore. Il s'y use en de petites besognes
 extenuantes. Aussi lorsqu'il peut reprendre son vol, vers la fin d'octobre
 (1845), a-t-il le sentiment d'une delivrance. Et cette humeur joyeuse se
 maintient jusqu'a Vienne, malgre la longueur d'un trajet qu'il faut
 accomplir par eau ou sur des chemins de fer encore tout a fait primitifs.
  "Oh! monsieur Berlioz, que vous est-il donc arrive? s'ecrie le douanier
 autrichien a sa descente du bateau, depuis huit jours nous vous attendions
 et nous etions fort inquiets de ne pas vous voir." Cela ne donne-t-il pas la
 mesure de la passion qu'ont les Viennois pour la musique? Est-ce qu'a Paris
 un modeste fonctionnaire?.. Allons voila qui est d'un heureux augure. Et la
 serie des concerts commence aussitot dans ces salles illustres: le theatre de
 Karntner Thor; la salle du manege Imperial; le theatre An der Wien, ou
 chante Jenny Lind; la grande salle des Redoutes ou Beethoven, trente ans
 auparavant, "faisait entendre ses chefs-d'?uvre adores maintenant de toute
 l'Europe et accueillis alors des Viennois avec le plus monstrueux dedain2".
 Enthousiasme de Berlioz, respect, devotion. Lorsqu'il monte au pupitre
 (celui-la meme qui servait a Beethoven pour diriger ses Symphonies), ses
 jambes se derobent sous lui. Voici l'emplacement du piano sur lequel
 Beethoven improvisait; l'escalier par lequel il descendait de l'estrade, les
 chaises du foyer ou il demeurait assis au milieu de l'indifference generale.
 К SOus combien de Ponce Pilate ce Christ a-t-il ainsi ete crucifie *!"
  Et dans cette meme salle des Redoutes, Berlioz assiste aux grands bals
 de la Saison, regarde tourbillonner les valseurs sous la baguette de Johann
 Strauss. Il loue ces rythmes contraires, ces divisions de la mesure et ces
 accentuations syncopees de la melodie dans une forme constamment
 reguliere et identique. Il fait la connaissance de tous les musiciens viennois
 de renom et recoit d'eux un baton de mesure en vermeil, portant les noms
 d'Artaria, de Becher, du prince Czartoriski, de Czerny, de Diabelli, d'Ernst,
 de Hasiinger, etc. "Puisse ce baton de mesure rappeler a votre souvenir la
 ville ou Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven ont vecu et les amis de l'art
 446
 
 musical qui s'unissent a moi pour crier: vive Berlioz!" Ainsi s'exprime le
 baron de Lannoy au nom des donateurs. Et tout cela est du presque
 entierement "a notre pauvre Fantastique*; la Scene aux Champs et la
 Marche au Supplice ont retourne les entrailles autrichiennes; quant au Car-
 naval et a la Marche des Pelerins5, ce sont des morceaux populaires. On
 fait maintenant ici jusqu'a des pates qui portent mon nom6". Ce qui, au
 surplus, n'empeche nullement les critiques des specialistes. Mais Berlioz
 finit par en prendre l'habitude (bien qu'aucun artiste ne s'y resigne jamais
 sans une certaine aigreur). Toutefois, si certains le traitent de toque7, de
 maniaque, d'excentrique, d'autres ne disent-ils pas: "Berlioz est une sorte
 de levain spirituel qui met en fermentation tous les esprits... Berlioz est un
 tremblement de terre musical!" Et cela compense tout le reste.
  L'Empereur en personne assiste a l'un de ses concerts et lui fait remettre
 un present accompagne de ce compliment: "Dites a Berlioz que je me suis
 bien amuse." Mais le personnage qu'il voudrait voir surtout est le prince de
 Metternich8, ce patron de la politique europeenne, le manieur le plus habile
 de la grande seche aux yeux louches et au c?ur dur9. Or, pour cela, il s'agit
 de mobiliser un officier " lie avec un conseiller, qui parlerait a un membre
 de la Chancellerie de la Cour assez puissant pour l'introduire aupres d'un
 secretaire d'ambassade, qui obtiendrait de l'ambassadeur qu'il voulut bien
 parler a un ministre" afin qu'il presentat Berlioz. Coupant net a ce circuit et
 bravant l'etiquette, le musicien s'achemine vers le palais du prince,
 s'explique avec un officier de garde, presente sa carte, est recu de la facon
 la plus affable.
  "Ah! c'est donc vous, monsieur, qui composez de la musique pour cinq
 cents musiciens?"
 Et l'impertinent de repondre:
  "Pas toujours, monseigneur; j'en fais quelquefois pour quatre cent
 cinquante."
  A Budapest, succes "ebouriffant" grace a l'adjonction au programme de
 la Marche hongroise (Rakoczy-marche). Un amateur viennois lui avait
 donne le conseil d'orchestrer ce theme national hongrois, et, a la veille de
 son depart pour Pest, Berlioz l'ecrivit dans la nuit. Est-ce scrupuleusement
 vrai? Peut-etre. En tout cas le conseil etait bon. Ecrit de verve, et
 pressentant le retentissement qu'un tel morceau aurait sur le public
 hongrois, si sensible, si ardemment national, il le placa a la fin du concert.
 Bien lui en prit10. Car apres une sonnerie de trompettes annoncant le theme
 execute piano par les flutes et les clarinettes, l'auditoire fut aussitot comme
 parcouru d'un frissonnement d'attente. Mais quand, sur un long crescendo,
 447
 
 des fragments fugues" du theme reparurent, entrecoupes de notes sourdes
 de la grosse caisse simulant des coups de canon lointains, la salle se mit
 a fermenter et, au moment ou l'orchestre dechaine dans une melee furieuse
 lanca son fortissimo si longtemps contenu, des cris, des trepignements
 ebranlerent la salle du haut en bas: "La fureur concentree de toutes ces
 ames bouillonnantes fit explosion avec des accents qui me donnerent le
 frisson de la terreur; il me sembla sentir mes cheveux se herisser et a partir
 de cette fatale mesure je dus dire adieu a la peroraison de mon morceau, la
 tempete de l'orchestre etant incapable de lutter contre l'eruption de ce
 volcan dont rien ne pouvait arreter les violences12." Il fallut le bisser
 aussitot, le trisser meme. Puis on se precipita de partout pour embrasser
 l'auteur, l'etouffer. Un homme se jeta sur lui en balbutiant: "Ah! monsieur,
 monsieur! Moi Hongrois... pauvre diable..., pas parler francais... un poco
 l'italiano... pardonnez... Ah! ai compris votre canon... Oui, oui la grande
 bataille..." (...) Et se frappant la poitrine a grands coups de poing: "Dans le
 c?ur, moi... je vous porte... Ah! Francais... revolutionnaires... savoir faire
 la musique des revolutions."... Lis/t lui-meme connut-il dans son pays
 natal pareil triomphe**?
  GUY DE POURTALES. Berlioz et l'Europe romantique (1930).
 Примечания:
  1. Летом 1845 г. 2. Эти строки принадлежат Берлиозу. 3. Берлиоз упоминает здесь
 "Фантастическую симфонию". "Сцена на полях" и "Шествие на казнь" являются наи-
 более известными эпизодами из нее. 4. "Римского карнавала". 5. Из "Гарольда в Ита-
 лии". 6. См. прим. 2. 7. Чудаком, тронутым (разг.). 8. Австрийский министр иностран-
 ных дел, инициатор создания Священного союза 9. Меттерних был создателем кон-
 цепции т.н. европейской политики. 10. Результаты этой идеи оказались весьма удачны
 для него. 11. Трактованные, как фуга: различные партии на одну тему следуют друг за
 другом и чередуются. 12. См. прим. 2.
 Вопросы:
 * Essayez defaire un rapprochement entre la musique de Berlioz et celle de Beethoven.
 ** Pourquoi l'auteur de La Damnation de Faust peut-il etre regarde comme une grande
 figure romantique?
 QEORQES BIZET (1838 1875)
 QUAND, en 1875, Georges Bizet fit representer Carmen a l'Opera-Comique, les
 critiques lui reprocherent d'avoir cede a la mode du "wagnerisme". Ceux
 d'aujourd'hui risqueraient plutot d'etre offusques par l'excessive popularite de
 l'ouvrage.
 448
 
 C'est pour repondre a ce grief injuste que FRANCOIS MAURIAC, d'une plume
 vibrante, a pris la "defense de Carmen".
 DEFENSE DE CARMEN
  Comme il existe une fausse delicatesse, il existe une fausse vulgarite.
 Carmen est le type meme de l'?uvre faussement vulgaire. C'est un piege
 pour les esprits qui se croient distingues, un piege que tous les musiciens
 eventent: je n'en connais aucun qui n'assigne a Carmen sa vraie place.
  Mais il n'existe pas de chef-d'?uvre plus maltraite. Au Grand Theatre
 de Bordeaux, quand j'etais etudiant, a cause de l'accent terrible des "brunes
 cigarieres1" et des "petits soldats'", je croyais assister a des representati
 ons ridicules. Apres tant d ' annees, je decouvre que Carmen etait jouee la
 comme elle doit l'etre, dans une ivresse joyeuse, dans une odeur de jasmin
 et d'abattoir, devant un peuple dresse, les dimanches d'ete, a acclamer les
 matadors etincelants lorsqu'ils roulaient vers les arenes, dans de vieilles
 victorias2. Au deuxieme acte, une toute jeune danseuse, ReginaBadet,
 tournait sur une table de la "posada3", excitee par les claquements de
 mains des figurants et du public.
  Carmen nous etait familiere: avec ses accroche-c?urs4 luisants et ses
 ?illets, elle vendait des royans5 d'Arcachon, rue Sainte-Catherine6,
 escortee de voyous freles et redoutables. La scene prolongeait la rue:
 Escamillo7, pour nous, s'appelait Guerita, Mazzantini, Reverte, Algabeno,
 Fucutes, Bombita8, tous les diestros9 que nous adorions pendant la
 "temporada ".
  Et la gitane" avait bien le visage de cette passion contre laquelle nos
 pieux maitres nous avaient mis en garde au college: la mauvaise femme, la
 fille damnee pour qui les soldats desertent et deviennent assassins, le
 predicateur de la retraite de fin d'etudes nous en avait fait une peinture
 veridique:
 Vous -pouvez m'arreter
 C'est moi qui l'ai tuee,
 Carmen, ma Carmen adoree l2!
  A la sortie, je revais un instant sous le peristyle. Le vent d'Espagne
 soulevait tristement la poussiere des allees de Tourny; de larges gouttes
 s'ecrasaient sur les paves.
  Plein de ces souvenirs, j'avais dit a mes enfants: "II faut que vous
 entendiez Carmen!" Nous partimes donc, un samedi soir, pour l'Opera-
 449
 
 Comique. D'avance, je me faisais une fete de leur joie. Je leur avais decrit
 ce premier acte fourmillant, cette place espagnole rongee de soleil, le corps
 de garde avec les soldats a califourchon sur des chaises, la manufacture de
 tabac, la garde montante et les gamins qui defilaient en chantant, et les
 cigarieres qui se crepent le chignon13, et Carmen depoitraillee, la chemise
 dechiree, avec du sang sur son epaule de camelia14 Je leur predisais
 l'enthousiasme de la foule, tous les airs bisses par le poulailler15 en delire.
  Quelle stupeur! Nous accablons la pauvre Comedie-Francaise, parce
 que tout de meme il nous arrive d'y aller quelquefois. Mais qui donc
 a jamais eu l'idee de louer, un samedi soir, une loge a l'Opera-Comique,
 pour voir jouer Carmen? Un public inclassable; des Polytechniciens, aux
 yeux aveugles derriere leurs binocles, des Saint-Cyriens16 sortant de l'?uf!
 Aussi la troupe "ne s'en fait pas", comme on dit. L'ouverture est jouee au
 petit bonheur, avec une morne resignation, comme dans un cafe de second
 ordre. Le rideau se leve sur la place ou personne ne passe'7 sur un plateau
 lugubre, occupe par des fonctionnaires resolus a "en mettre le moins
 possible" et qui, sans aucune bonne grace, debitent leurs airs derriere la
 grille d'un bureau de poste*.
  Et pourtant, le vieux chef-d'?uvre, a la fin, demeurait le plus fort, galva-
 nisait peu a peu ces employes somnolents. Le don Jose ventru qui avait
 gueule: "La fleur que tu m'avais jetee " retrouvait au dernier acte une

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