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rapprocher du peuple et qui a meme inspire a certains d'entre eux l'ideecourageuse de partager effectivement la condition ouvriere...
Dans l'un de ses ouvrages, qu'il a consacre aux Humbles, JULES ROMAINS s'est plu
a imaginer un apotre de ce genre: l'abbe Jeanne, qui ne dedaigne pas d'aller
dans les quartiers populaires porter aide a une jeune maman dans la misere.
L'abbe frappe a la porte. Il entend crier: "Entrez!" par une voix qu'il
reconnait.
"Oh! c'est vous, monsieur l'abbe!"
Une jeune femme, a demi couchee sur un grabat qui touche au sol.
ecarte de sa poitrine l'enfant qu'elle allaitait, et se couvre vivement le sein
avec un torchon a rayure rouge.
"Continuez, je vous prie, de nourrir votre enfant", dit Jeanne.
Elle hesite, sourit d'un air confus, reussit presque a rosir dans sa paleur;
puis elle reprend son enfant, ecarte le torchon, et laisse voir un sein tres
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peu gonfle, aux attaches maigres, a la peau brunatre, un pauvre sein
rarement lave.
"Vous allez mieux? dit Jeanne.
- Oui, un peu.
- Et le petit se nourrit bien?
- Il se nourrirait bien, mais c'est moi qui ai tres peu de lait. Asseyez-
vous donc, monsieur l'abbe."
Il s'assied sur la chaise unique, dont le paillage creve laisse pendre ses
entrailles, puis il commence a defaire les ficelles de son paquet.
"Je vous ai apporte une ou deux petites choses. Oh! ce n'est presque
rien,, malheureusement. D'abord j'ai remarque que vous aviez beaucoup de
peine a faire chauffer ce qu'il vous faut sur ce rechaud a charbon de bois.
Et puis le charbon de bois, ce n'est pas tres sain pour vous ni pour votre
enfant. Je vous ai donc apporte un petit rechaud a alcool. Le
fonctionnement est tres simple. Je vous montrerai (...). Dans cette boite-ci,
vous avez un certain nombre de doses de potage condense. Je ne vous dis
pas que ce soit bien merveilleux. Mais ca contient tout de meme des
principes nutritifs, et c'est tellement facile a preparer. D'ailleurs, nous
allons faire un essai, si vous permettez. Ne vous derangez pas. Ou est-ce
que je trouverai un peu d'eau?
- Dans cette casserole, sous la brique, a cote de vous, monsieur
l'abbe. - L'eau est propre? D'ou vient-elle?
- C'est un voisin qui me l'a donnee, hier. Il va la chercher a une
fontaine... oh! assez loin d'ici... en tirant1 sur Saint-Ouen.
- Vous voyez comme le rechaud est facile a allumer. Je puis me servir
de la casserole? Des que l'eau va bouillir, j'y verserai le contenu d'une de
ces petites boites. Dites-moi ou je trouverai une cuiller, et une tasse.
- Je n'ai plus de tasse. Il doit y avoir deux bols l'un dans l'autre, par
terre, derriere vous."
La flamme bleue danse comme un esprit favorable. L'enfant pousse
parfois un gemissement. Le pretre surveille l'eau, attend les premieres
bulles. Il jette un peu d'eau dans le plus grand des deux bols, le rince
discretement; puis, apres une hesitation, en fait autant pour l'autre.
"Ca m'ennuie de vous laisser faire ca, monsieur l'abbe. Si j'avais su, je
me serais levee avant que vous ne soyez la.
- Mais non. J'en ai l'habitude. Chez moi, je n'ai pas toujours quelqu'un
Pour me servir*."
JULES ROMAINS. Les Hommesde Bonne Volonte, Les Humbles (1933).
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Примечания:
1. En allant dans la direction de Saint-Ouen.
Вопросы:
* Montrez que la charite lie l'abbe Jeanne est une charite efficace et active.
Soulignez la simplicite, tres expressive, du style et du vocabulaire.
VOCATION DES CARMELITES
Nombreuses sont les Francaises qui entrent en religion. Et le devouement que
certaines (l'entre elles, les Petites S?urs des Pauvres notamment, apportent
a soigner les malades, les orphelins, les infirmes, les vieillards, force l'admira-
tion generale.
De toutes les religieuses, il en est peu qui obeissent a une yegle aussi severe
que les Carmelites. Mais c'est de cette rigueur meme qu'elles tirent l'essentiel
de leur courage. Il revenait au genie brulant de GEORGES BERNANOS d'exalter
cette heroique vertu, ainsi qu'on le verra dans la scene ou l'ecrivain met en
presence la Prieure du Carmel de Compiegne et la jeune Blanche de la Force,
qui, en pleine periode revolutionnaire, sollicite son admission dans la sainte
maison.
LA PRIEURE1. - Qui vous pousse au Carmel?
BLANCHE. - Votre Reverence m'ordonne-t-elle de parler tout a fait
franchement?
LA PRIEURE. - Oui.
BLANCHE. - He bien, l'attrait d'une vie heroique.
LA PRIEURE. - L'attrait d'une vie heroique, ou celui d'une certaine
maniere de vivre qui vous parait - bien a tort - devoir rendre l'heroisme
plus facile, le mettre pour ainsi dire a la portee de la main?..
BLANCHE. - Ma Reverende Mere, pardonnez-moi, je n'ai jamais fait de
tels calculs.
LA PRIEURE. - Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous
appelons des illusions...
BLANCHE. - Je puis avoir des illusions. Je ne demanderais pas mieux
qu'on m'en depouille.
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LA PRIEURE. - Qu'on vous en depouille... (Elle appuie sur les trois
mots.) Il faudra vous charger seule de ce soin, ma fille. Chacune ici a deja
trop a faire de ses propres illusions. N'allez pas vous imaginer que le
premier devoir de notre etat soit de nous venir en aide les unes aux autres,
afin de nous rendre plus agreables au divin Maitre, comme ces jeunes
personnes qui echangent leur poudre et leur rouge avant de paraitre pour le
bal. Notre affaire est de prier, comme l'affaire d'une lampe est d'eclairer. Il
ne viendrait a l'esprit de personne d'allumer une lampe pour en eclairer une
autre. "Chacun pour soi", telle est la loi du monde, et la notre lui ressemble
un peu: "Chacun pour Dieu!" Pauvre petite! Vous avez reve de cette
maison comme un enfant craintif, que viennent de mettre au lit les
servantes, reve dans sa chambre obscure a la salle commune, a sa lumiere,
a sa chaleur. Vous ne savez rien de la solitude ou une veritable religieuse
est exposee a vivre et a mourir. Car on compte un certain nombre de vraies
religieuses, mais bien davantage de mediocres et d'insipides. Allez, allez!
ici comme ailleurs le mal reste le mal, et pour etre faite d'innocents
laitages, une creme corrompue ne doit pas moins soulever le c?ur qu'une
viande avancee... Oh! mon enfant, il n'est pas selon l'esprit du Carmel de
s'attendrir, mais je suis vieille et malade, me voila tres pres de ma fin, je
puis bien m'attendrir sur vous... De grandes epreuves vous attendent, ma
fille*...
BLANCHE. - Qu'importe, si Dieu donne la force!
(Silence.)
LA PRIEURE. - Ce qu'il veut eprouver en vous, n'est pas votre force,
mais votre faiblesse...
(Silence.)
... Les scandales que donne le monde ont ceci de bon qu'ils revoltent les
ames comme la votre. Ceux que vous trouverez ici vous decevront. A tout
prendre, ma fille, l'etat d'une religieuse mediocre me parait plus deplorable
que celui d'un brigand. Le brigand peut se convertir, et ce sera pour lui
comme une seconde naissance. La religieuse mediocre, elle, n'a plus
a naitre, elle est nee, elle a manque sa naissance, et, sauf un miracle, elle
restera toujours un avorton2.
GEORGES BERNANOS. Dialogues des Carmelites, 2e tableau, scene 1 (1949).
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Примечания:
1. Приоресса, настоятельница монастыря. 2. Недоноском, т.е. слабым, болезнен
ным ребенком.
Вопросы:
* Dans cette tirade de la prieure, appreciez la justesse, la force des images et des
comparaisons.
L'ESPRIT DE PORT-ROYAL
Ce qu'il y a -parfois d'allier et d'indomptable dans un certain catholicisme
francais ne s'est jamais mieux incarne que dans ces religieuses et ces Messieurs
de Port-Royal, qui refuserent de s'incliner devant les plus hautes autorites et
qu 'un roi tout-puissant persecuta sans parvenir a les faire plier.
SAINTE-BEUVE (1804 - 1869), qui consacra plusieurs annees de sa vie a etudier
et a ecrire l'histoire de Port-Royal, a degage avec force les raisons profondes
de la rigueur janseniste: loin de n'etre qu'une purete toute formelle, c'eut
l'avenir meme du christianisme qu'elle visait a sauvegarder.
Theologiquement d'abord, Port-Royal, nous le verrons, eut la plus
grande valeur. Dans son esprit fondamental, dans celui de la grande
Angelique' (comme on disait) et de Saint-Cyran2 il fut a la lettre une
espece de reforme en France, une tentative expresse de retour a la saintete
de la primitive Eglise sans rompre l'unite, la voie etroite dans sa pratique la
plus rigoureuse, et de plus un essai de l'usage en francais des saintes
Ecritures et des Peres3, un dessein formel de reparer et de maintenir la
science, l'intelligence et la Grace4. Saint-Cyran fut une maniere de Calvin
au sein de l'Eglise catholique et de l'episcopat gallican5 un Calvin restau-
rant l'esprit des sacrements, un Calvin interieur a cette Rome a laquelle il
voulait continuer d'adherer*. La tentative echoua, et l'Eglise catholique
romaine y mit obstacle, declarant egares ceux qui voulaient a toute force, et
tout en la modifiant, lui demeurer soumis et fideles.
Port-Royal, entre le seizieme et le dix-huitieme siecle, c'est-a-dire deux
siecles volontiers incredules, ne fut, a le bien prendre, qu'un retour et un
redoublement de foi a la divinite de Jesus-Christ. Saint-Cyran, Jansenius6
et Pascal furent tout a fait clairvoyants et prevoyants sur un point: ils
comprirent et voulurent redresser a temps la pente deja ancienne et presque
universelle ou inclinaient les esprits. Les doctrines du pelagianisme7 et
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surtout du semi-pelagianisme avaient rempli insensiblement l'Eglise, et
constituaient le fond, l'inspiration du christianisme enseigne. Ces doctrines
qui, en s'appuyant de la bonte du Pere et de la misericorde infinie du Fils,
tendaient toutes a placer dans la volonte et la liberte8 de l'homme le
principe de sa justice et de son salut, leur parurent pousser a de prochaines
et desastreuses consequences. Car, pensaient-ils, si l'homme dechu9 est
libre encore dans ce sens qu'il puisse operer par lui-meme les
commencements de sa regeneration et meriter quelque chose par le
mouvement propre de sa bonne volonte, il n'est donc pas tout a fait dechu,
toute sa nature n'est pas incura-blement infectee; la Redemption toujours
vivante et actuelle par le Christ ne demeure pas aussi souverainement
necessaire. Etendez encore un peu cette liberte comme fait Pelage, et le
besoin de la Redemption surnaturelle a cesse. Voila bien, aux yeux de
Jansenius et de Saint-Cyran, quel fut le point capital, ce qu'ils previrent
etre pres de sortir de ce christianisme, selon eux relache, et trop concedant
a la nature humaine. Ils previrent qu'on etait en voie d'arriver par un
chemin plus ou moins couvert,... ou donc? a Y inutilite du Christ-Dieu**.
A ce mot, ils pousserent un cri d'alarme et d'effroi. Le lendemain du
seizieme siecle, et cent ans avant les debuts de Montesquieu et de Voltaire,
ils devinerent toute l'audace de l'avenir; ils voulurent, par un remede
absolu, couper court et net a tout ce qui tendait a la mitigation10 sur ce
dogme du Christ-Sauveur. Il semblait qu'ils lisaient dans les definitions de
la liberte et de la conscience par le moine Pelage les futures pages
eloquentes du Vicaire savoyard11, et qu'ils les voulaient abolir.
SAINTE-BEUVE. Port-Royal (1840 - 1850).
Примечания:
1. Мать Анжелика Арно (1591-1661), реформировавшая орден. 2. Дювержье де
Оранн, аббат де Сен-Сиран (1581-1643), духовник Пор-Рояля, был другом Янсения и
сторонником его доктрины, способствовал ее распространению. 3. Отцы Церкви.
4. Янсенисты не верили в вечное спасение человека без вмешательства Благодати, т.е.
без помощи Бога. 5. Галликанизмом называется движение среди французского духо-
венства за автономию церкви Франции от римского папы. 6. Янсений (1585-1638),
голландский теолог, автор трактата о св.Августине и его учении о благодати и предо-
пределении, ставшего основой янсенистской доктрины. 7. Бретонский монах Пелагий
(V в.) считал, что человек может достичь спасения вне зависимости от господней бла-
годати своей праведной жизнью и благочестивыми поступками. Полупелагианцы, не
столь категоричные, признавали частичную возможность для человека спасения при
Условии благочестивой жизни. 8. Янсенизм категорически отрицал свободу воли.
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9. Вследствие первородного греха. 10. Смягчению. 11. В "Эмиле" Руссо один из пер-
сонажей, савойский викарий, наблюдая со своим воспитанником за восходом солнца
над горами, излагает ему основы своеобразной естественной религии, или религии
природы.
Вопросы:
*0п a souvent reproche aux jansenistes d'etre des sortes de protestants inavoues. Que
pensez-vous de ce grief?
**Expliquez la verite et la profondeur de cette formule.
VIEUX PROTESTANTS DU PAYS
CEVENOL
Si la France est la "fille ainee de l'Eglise", elle est aussi la patrie de Calvin; et
la Reforme s'y est implantee assez profondement pour que la revocation de
l'Edit de Nantes (1685) ou les persecutions des "Missionnaires bottes" qu'etai-
ent les dragons du roi fussent impuissantes a l'extirper. Tout au plus ces
persecutions firent-elles du protestant francais un homme durci dans sa foi et
pret a tout souffrir pour elle.
ANDRE GIDE, eleve lui-meme dans la religion reformee, a pu connaitre encore, dans son
enfance, de ces vieux huguenots des Cevennes, en qui s'etait perpetue le souvenir des
epreuves de jadis et qui en avaient conserve comme une rudesse inveteree.
Mon grand-pere etait mort depuis assez longtemps lorsque je vins au
'monde; mais ma mere l'avait pourtant connu, car je ne vins au monde que
six ans apres son mariage. Elle m'en parlait comme d'un huguenot austere,
entier, tres grand, tres fort, anguleux, scrupuleux a l'exces, inflexible, et
poussant la confiance en Dieu jusqu'au sublime*. Ancien president du
tribunal d'Uzes, il s'occupait alors presque uniquement de bonnes ?uvres et
de l'instruction morale et religieuse des eleves de l'ecole du Dimanche.
En plus de Paul, mon pere, et de mon oncle Charles, Tancrede Gide
avait eu plusieurs enfants qu'il avait tous perdus en bas age, l'un d'une
chute sur la tete, l'autre d'une insolation, un autre encore d'un rhume mal
soigne; mal soigne pour les memes raisons apparemment qui faisaient qu'il
ne se soignait pas lui-meme. Lorsqu'il tombait malade, ce qui du reste etait
peu frequent, il pretendait ne recourir qu'a la priere; il considerait
l'intervention du medecin comme indiscrete, voire impie*, et mourut sans
avoir admis qu'on l'appelat.
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Certains s'etonneront peut-etre qu'aient pu se conserver si tard ces
formes incommodes et quasi paleontologiques de l'humanite; mais la petite
ville d'Uzes etait conservee tout entiere; des outrances comme celles de
,mon grand-pere n'y faisaient assurement point tache; tout y etait
a l'avenant1; tout les expliquait, les motivait, les encourageait au contraire,
les faisait sembler naturelles; et je pense du reste qu'on les eut retrouvees
a peu pres les memes dans toute la region cevenole, encore mal ressuyee2
des cruelles dissensions religieuses qui l'avaient si fort et si longuement
tourmentee (...).
Ceux de la generation de mon grand-pere gardaient vivant encore le
souvenir des persecutions qui avaient martele leurs aieux, ou du moins
certaine tradition de resistance; un grand raidissement interieur leur restait
de ce qu'on avait voulu les plier. Chacun d'eux entendait distinctement le
Christ lui dire, et au petit troupeau tourmente: "Vous etes le sel de la terre;
or si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on?"...
Et il faut reconnaitre que le culte protestant de la petite chapelle d'Uzes
presentait, du temps de mon enfance encore, un spectacle particulierement
savoureux. Oui, j'ai pu voir encore les derniers representants de cette
generation de tutoyeurs de Dieu assister au culte avec leur grand chapeau
de feutre sur la tete, qu'ils gardaient durant toute la pieuse ceremonie, qu'ils
soulevaient au nom de Dieu, lorsque l'invoquait le pasteur, et n'enlevaient
qu'a la recitation de "Notre Pere...". Un etranger s'en fut scandalise comme
d'un irrespect, qui3 n'eut pas su que ces vieux huguenots gardaient ainsi la
tete couverte en souvenir des cultes en plein air et sous un ciel torride. dans
les replis secrets des garrigues, du temps que le service de Dieu selon leur
foi presentait, s'il etait surpris, un inconvenient capital4**.
ANDRE GIDE. Si le grain ne meurt (1926).
Примечания:
1. Все здесь было в таком же роде. 2. Не вполне оправившийся (букв, просохший).
3- A pour antecedent un etranger. 4. Au sens propre: mortel (qui coute la tete).
Вопросы:
* Expliquez les expressions: "Poussant la confiance en Dieu jusqu'au sublime." - Et,
Plus bas: "II considerait l'intervention du medecin comme impie."
** Montrez que l'ecrivain a garde un grand respect pour ces huguenots d'autrefois
UN ANTICLERICAL:
LE PHARMACIEN HOMAIS
L'irreverence, qui est un des traits fondamentaux du caractere gaulois, s'est
traduite, sur le plan religieux, dans le double mouvement de la libre pensee et
de l'anticlericalisme, dont les attaches, en France, sont anciennes et protondes.
A cet egard, le voltairianisme s'insere tout naturellement dans une des
traditions seculaires de l'esprit francais. Encore convient-il de ne pas le
confondre avec la caricature qui en a souvent ete faite et que represente si bien
le personnage cree par FLAUBERT - ce pharmacien Harnais, devenu un des
"type " les plus celebres de la litterature francaise.
"Qu'y a-t-il pour votre service, monsieur le cure? demanda la maitresse
d'auberge, tout en atteignant sur la cheminee un des flambeaux de cuivre
qui s'y trouvaient ranges en colonnades avec leurs chandelles; voulez-vous
prendre quelque chose? Un doigt1 de cassis, un verre de vin?"
L'ecclesiastique refusa fort civilement. Il venait chercher son parapluie,
qu'il avait oublie l'autre jour au couvent d'Ernemont, et, apres avoir prie
Mme Lefrancois2 de le lui faire remettre au presbytere dans la soiree, il
sortit pour se rendre a l'eglise, ou sonnait l'Angelus'.
Quand le pharmacien n'entendit plus sur la place le bruit de ses souliers,
il trouva fort inconvenante sa conduite de tout a l'heure. Ce refus d'accepter
un rafraichissement lui semblait une hypocrisie des plus odieuses.
"Taisez-vous donc, monsieur Homais! vous etes un impie! vous n'avez
pas de religion!" Le pharmacien repondit:
"J'ai une religion, ma religion, et meme j'en ai plus qu'eux tous avec leurs
momeries4 et leurs jongleries! J'adore Dieu, au contraire! Je crois en l'Etre
supreme, a un Createur, quel qu'il soit, peu m'importe, qui nous a places ici-
bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de pere de famille; ma.is je n'ai
pas besoin d'aller, dans une eglise, baiser des plats d'argent, et engraisser de